Un ami m'a envoyé une bd réalisée, lui avait-on dit, par un migrant avec des galets de Calais. Moins connus que la dentelle, mais tout aussi fins, poignants. Poignants parce que les 24 cases de la BD racontent l'exil, les rêves et les peurs de ceux qui sont contraints de quitter leur pays. Finalement, je découvre que l'auteur de ces oeuvres est un artiste Syrien, Nizar Ali Badr, et non un exilé anonyme. Le fait qu'il soit "connu" n'enlève rien à la signification de ce qu'il illustre.
Cette histoire en galets rend chaque exilé humain. Il cesse d'être une statistique pour redevenir un être sensible qui aime, espère et souffre... En voici quelques images à partir desquelles j'ai raconté une histoire, sans doute semblables à des milliers d'autres.
" Mon histoire commence avec l'amour de ma femme, rencontrée un soir de pleine lune, là-bas, au pays. (1). Nous pensions y vivre heureux avec nos enfants (2) mais la guerre est entrée chez nous on ne sait trop pourquoi. Tout ce qu'on sait, c'est le bruit des bombes, la peur de mourir, les écoles et les maisons détruites, et la décision de faire nos bagages et de partir loin, dans un pays en paix où il serait possible de reconstruire une vie heureuse. (3)
Nous avons navigué longtemps sur une mer pas si bleue que dans mon dessin. Elle était parfois grise, parfois déchaînée, les vagues frôlaient le rebord des embarcations, manquant nous faire chavirer à chaque instant. Deux de nos enfants se sont noyés... (4)
A l'arrivée, on ne s'est pas senti accueillis, le passeur nous a menacé et demandé encore plus d'argent pour nous rendre nos affaires, les policiers français nous encerclaient en aboyant comme les chiens de berger rassemblent le troupeau. (5)
Ma femme, les deux enfants qui nous restent et moi dormons sur la plage en espérant trouver un moyen d'aller en Angleterre où un cousin s'est installé (6) Mais impossible de passer! Les autorités françaises semblent s'être instituées gardiennes des frontières de l'Angleterre, elles nous enferment dans des camps, nous dénichent sous les camions, nous en extirpent violemment. Pourquoi? On se sait pas, on ne nous dit rien.
Une organisation nous a apporté à manger et des vêtements, mais le camp devient insalubre, intenable, inhumain. Nous avons décidé de repartir à pied. Pour où? Pour quoi? L'avenir reste inconnu et d'ailleurs, avons-nous un avenir? (7) Malgré tout l'espoir reste ancré dans nos coeurs comme les racines maintiennent l'arbre. (8)
Alors, pour ne pas perdre pied, pour donner une signification à ce qui nous arrive, je raconte notre histoire aux enfants avec des galets ramassés sur le sable. J'en suis à 24 petits tableaux, j'aimerais que les suivants racontent notre rencontre avec les gens d'ici, de nouveaux amis, un travail, une maison, peut-être un autre enfant... (9)