Retrouvé un livre que j'avais chroniqué il y a 20 ans, en 2001: "L'OPA silencieuse" par Noreena Hertz, docteur en économie et en philosophie (éd. Alias etc.) L'OPA, c'était l'appropriation de la politique par les entreprises multinationales. "Un monde où le consumérisme est assimilé à la politique économique, où l'intérêt des entreprises règne en maître... (où) les entreprises définissent les règles du jeu et les gouvernements ne sont que les arbitres qui font appliquer des règles imaginées par d'autres. Au cours de ce processus l'équité, les droits et l'environnement passent à la trappe, les garde-fous sociaux sont affaiblis, le pouvoir des syndicats est écrasé.
Noreena Hertz n'est pas viscéralement anti-capitaliste, elle estime même qu'au départ ce système a permis une augmentation considérable des richesses, qui a profité à une grande partie du monde, mais qu'il est aujourd'hui- en 2001, il y a 20 ans! - dévoyé et créateur d'inégalités et d'injustices dangereuses.
L’État politique est devenu l'Etat-business (ce que Macron appelle la "start-up nation"), ce qui risque de briser le contrat tacite État/citoyen, à la base de la société démocratique. En conséquence, le rejet des urnes et les formes d'expression politiques non traditionnelles apparaissent de plus en plus séduisantes. (prémonition de l'abstention massive et des "gilets jaunes"...)
Le tournant date de 1979 et 1980, avec l'élection de Margaret Thatcher, puis celle de Ronald Reagan. (Ensuite) la discipline fiscale imposée à la douzaine de pays européens qui veulent adopter la monnaie unique ( l'euro) force les gouvernements de centre-gauche à une rigueur fiscale digne des gouvernements de droite.... Là encore, les citoyens ordinaires sont perdants. L'argent dépensé à subventionner les entreprises n'est plus disponible pour les services publics.
S'abstenir de lancer le débat sur les limites du capitalisme de type anglo-saxon qui favorise ouvertement les riches et se soucie essentiellement du profit n'est pas une option que la conscience peut cautionner.
Il est terrifiant de lire ces lignes qui ont vingt ans et avaient tout prévu et de se dire que nous n'avons rien fait pour l'empêcher, tout comme il est terrifiant de lire des livres et articles des années 1990 prévoyant les crises écologiques (climat, pollutions, surpopulation, déforestation, pillage des ressources naturelles) et de se dire, là encore, que nous n'avons pas réagi, à part quelques bulles de résistance et d'initiatives locales.
Comme me l'avait dit un jour le botaniste Jean-Marie Pelt: " Françoise, pourquoi voudriez-vous que les puissants changent un système qui leur a si bien réussi?" et encore "L'être humain ne réagit qu'au bord du gouffre, voire quand il commence à tomber dans le gouffre, sinon il a tendance à attendre dans l'espoir que les choses s’arrangent d'elles-mêmes".
C'est donc l'indifférence, "la maison brûle et nous regardons ailleurs" qui nous ont menés là. D'ailleurs, l'OPA silencieuse, qui aurait dû se vendre à des millions d’exemplaires et susciter moult réactions, n'a pas été un immense succès de librairie, la preuve: si Noreena Hertz poursuit sa carrière universitaire, les éditions Alias.etc, qui avaient aussi publié "La santé aux mains des prédateurs" de Dominique Prédali et "La biopiraterie" de Vandana Shiva, thèmes toujours cruellement d'actualité en 2021, ont disparu...
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