Pour les besoins de mon beau métier, je vais parfois incognito tester des gourous habillés en thérapeutes, ou des thérapeutes déguisés en gourous, promettant contre une poignée de billets monts et merveilles à des malheureux avides de miracles. C’est ainsi que je fus désenvoûtée par un mage sévissant en compagnie de deux perroquets gris du Gabon, dans une officine près de la gare St Lazare, tapissée d’images pieuses et de relevés fiscaux certifiant que le guérisseur acquittait bien la TVA. Tandis que ses perroquets disaient du mal de moi, je supportais stoïquement que le grand prêtre qui se faisait appeler Monseigneur me casse des œufs sur le crâne, m’arrose de graines, de lotions et d’herbes diverses puis jette le tout dans le feu- sauf moi- pour que la couleur de la flamme lui révèle le maléfice dont j’étais victime. La salle d’attente était bondée de clients, dont un homme d’affaires belge qui venait faire désenvoûter… son fils de neuf ans qu’il trouvait trop agité. Il y a des fessées qui se perdent…
Un autre guérisseur, près de la place de l’Etoile, me fit déshabiller et, après m’avoir attachée sur une sorte de fauteuil de dentiste, me saisit à la gorge en hurlant « Ste Vierge, sainte Vierge, si tu es dans cette gorge, sors-en ». Le fou rire contenu m’ayant forcée à déglutir, l’aimable foldingue soupira : « ça y est, elle sort, je la sens qui bouge dans votre cou ». Son cabinet luxueux attirait une clientèle bourgeoise de languissantes dames en tailleur.
Voulant savoir où se situait la magie, j’avais glissé dans mon « Guide des guérisseurs » (2ème édition) le nom d’un ami qui accepta de jouer ce rôle « uniquement par téléphone et pour des affections sans gravité » car il tenait à sa tranquillité et avait de la morale. Il reçut moult coups de fil de gens pas seulement migraineux ou insomniaques, mais également atteints de cancers et autres maladies graves. Il leur parlait, les écoutait, et répondait à la question « Combien vous dois-je ? » « Vous envoyez ce que vous voulez, uniquement si vous avez des résultats ». Il reçut plusieurs chèques, dont l’un d’une cancéreuse à qui il le renvoya. Elle le lui réexpédia. Deux fois. Il finit par le garder sans l’encaisser, puis changea de numéro pour ne plus être joint. « Tu as tort, lui dis-je, une belle carrière s’offrait à toi. » Quelques jours plus tard, racontant l’aventure à une amie architecte, celle-ci lui rétorqua alors qu’il s’étonnait de la crédulité des gens : « Tu n’en sais rien, tu as peut-être un don. » Silence. Elle releva sa manche : « Regarde, j’ai une verrue qui résiste à tous les traitements. Tu crois que tu pourrais faire quelque chose ? »
Comme aurait dit Pierre Desproges dont on célèbre ses jours ci le vingtantenaire de la disparition avec moins de faste que le trentenaire de celle de Clo-Clo (qu’en sera-t-il du trentenaire de Brel en octobre prochain ?)
« Public chéri, bonjour et toi mon Gourou, coucou ! »