Conversation avec O…, ami de longue date, toujours amoureux, puis en désamour, toujours en recherche. Il se demande pourquoi, lorsqu’il s’entend si bien avec une femme qu’il a envie de vivre avec elle « C’est moyen au lit » et pourquoi celles avec qui c’est sexuellement magique ne tiennent pas la distance au quotidien.
« Symptôme très fréquent, mon cher, d’où l’intérêt des amours plurielles qui savent faire la différence entre les différentes alchimies amoureuses et ne les mettent pas en rivalité. » « J’aimerais pourtant tout trouver chez la même femme » insiste-t-il. – C’est cela, oui, et que tu lui apportes tout aussi ? Un peu présomptueux, non ? Et à mon sens presque impossible. » « A cause de la routine conjugale ? « Non, je ne crois pas à la routine. Les habitudes, quand elles sont des rituels, restent délicieuses, on ne les appelle routine que si on s’ennuie. Mais c’est parce qu’on s’ennuie qu’on les appelle « routine », pas parce qu’elles sont de la routine qu’on s’ennuie, tu comprends ? » « Tout à fait, depuis des années, je savoure mon café du matin et ça ne m’ennuie jamais ». « Exactement. Pour ta difficulté à conjuguer conjugo et Dunlopillo torride, j’ai deux théories. La première esquissée dans « Le jeune homme au téléphone », quand David, le jeune homme, confie à la femme du téléphone :
L’autre théorie est que la nature, dans sa grande sagesse, rend le désir moins impérieux dans le couple, qui est projet trop important pour ne dépendre que du sexe, comme l’explique son ami cancérologue à Lola dans « Ce qui trouble Lola » :
« Il n’y a qu’à toi que je peux raconter cela, murmure Luc à Lola… Tu imagines la tête de mes collègues s’ils apprenaient que l’éminent professeur de biologie moléculaire se fait fesser après avoir rendu visite à une amie qui se meurt, ils me prendraient pour un malade …» Luc touille lentement le sucre dans son café … tout en tournant la cuillère, il murmure qu’après une telle séance, il se sent si bien qu’il peut retourner dans la vraie vie, rentrer chez lui et écouter Christine lui raconter une journée difficile, mais il dit « la vraie vie » et se demande parfois pourquoi ces moments intenses avec Victoire ne seraient pas aussi la vraie vie… (et) quelques autres aussi, comme avec Lola, l’été dernier : « Tu sentais le caramel au lait, c’était ton parfum vanille je crois, je sortais de la cuisine avec la cafetière, tu me l’as ôtée des mains, posée par terre en t’agenouillant … c’était une gâterie délicieuse, inattendue… « Et avec Christine, tu ne joues pas comme avec Victoire ou avec moi ? » « Non. Tu ne peux pas jouer quand il y a un enjeu trop fort, et le couple, c’est cinquante millions d’enjeux trop forts, un projet de vie, des enfants, de l’argent, du pouvoir….. «Et si tu vivais avec Victoire ? » Luc éclate de rire : « Surtout pas ! Ce que je dis n’a rien à voir avec Christine, il a à voir avec les enjeux du couple. Si je formais un couple avec Victoire, mêmes enjeux, mêmes effets, adieu nos délires ! Victoire adore son mari mais ne joue pas non plus avec lui comme avec moi. Si on habitait ensemble comme des colocs, en poursuivant nos délires, ce serait d’abord délicieux puis très vite invivable, je ne ferais plus que ça, je n’irais plus au labo, je ne verrai plus mes amis et un jour je lui en voudrais de m’avoir dévoré comme une mante religieuse. » Luc baisse la voix : « Parfois, quand on se quitte, on est pressé de rentrer chacun chez soi, tellement sidérés de ce qu’on arrive à faire ensemble qu’on a besoin de laisser décanter. La vie est un subtil équilibre, tu ne peux pas vivre en permanence dans la pulsion, ce serait épuisant, mais je pense que c’est tout aussi destructeur de la réprimer sans cesse. C’est générateur de violence envers les autres ou contre soi, parfois je me demande si les cancers ne sont pas la maladie des sociétés frustrées, les cellules malignes sont dites « anarchiques », ce n’est pas un hasard … »
« Intéressant, murmure O. Mais va faire comprendre cela à une femme ! »
A ce discours un tantinet provocateur, j’avoue, j’ai eu le plaisir de voir nombre de femmes chuchoter « 100% d’accord avec vous » et un certain nombre me confier qu’elles vivent déjà cette diversité amoureuse tout en aimant leur compagnon, et s’en trouvent très bien, beaucoup plus épanouies. Une jeune fille de 21 ans m’a avoué : « En vous écoutant, ça me donne envie d’aimer, alors que jusqu’ici, l’amour me faisait peur, m’apparaissait comme une prison. »
Là encore, c’est une question de changement de mental. Ce qui semble iconoclaste aujourd’hui – et je ne vous dis pas il y a 30 ans !- semblera tout à fait naturel dans quelques années sans doute, et j’espère que les heureux pluriamoureux, se souvenant de moi, m’allumeront un cierge bio parfumé aux huiles essentielles d’Ylang-Ylang J