Il y a peu, on était traité de ringard ou d’aigri si on osait dire que l’argent fou allait entraîner des catastrophes économiques et sociales. On passait pour envieux si on fustigeait les parachutes dorés ou insinuait qu’il faudrait instituer un Salaire Maximum Acceptable comme il y a le SMIC en bas de l’échelle. On se faisait traiter de radin si on éteignait l’ordinateur après usage ou si on fermait le robinet pendant le brossage des dents. On vous jugeait carrément triste de manger végétarien ou bio, ou pire « végétarien/bio ». La Logan était regardée avec condescendance par le conducteur fringant du 4x4 citadin : « Bien sûr, ça roule, mais c’est rustique, limite primitif, ça fait un peu voiture soviétique, quoâ ? Et puis surtout, surtout, on avait raté sa vie si on n’avait pas de Rolex à 50 ans.
Aujourd’hui, les faiseurs de tendances, dits « trenders » outre-Manche, reprennent en chœur les discours qu’ils méprisaient l’an dernier. Il devient du dernier chic de faire d’émouvants discours sur l’argent qui doit être « un moyen et non une fin », « mieux partagé pour le bien-être de tous », même que le G20, Gordon Brown en tête ( alors que la City de Londres est un des plus grands paradis fiscaux) va entonner le chant de la moralisation du capitalisme, même que NS a averti qu’il allait demander l’éradication des paradis fiscaux. Oui, l’éradication, comme on éradique le Chikungunya ou la variole. L’argent qui le faisait rêver lors de son intronisation est devenu une maladie. .. Très tendance aussi, l’abandon par les dirigeants- un peu contraints et forcés, il est vrai - de leurs primes et stocks-options.
Les accros aux technologies nouvelles exhibent désormais une télécommande qui coupe le courant dès qu’ils sortent d’une pièce et un détecteur de propreté qui arrête le robinet quand leurs mains sont rincées. Les actrices mangent bio, s’habillent bio, font des bébés bio qu’elles font habiter dans des maisons aux tommettes de véritable terre cuite, poutres teintées à la lasure naturelle à base de pigments végétaux et chauffage par panneaux solaires. Et chacun de s’extasier sur la Logan ou la Nano « Après tout, l’essentiel, c’est que ça roule d’un point à un autre, non ? » tandis que des milliardaires consultent ostensiblement l’heure à leur montre à 30 €, quand ils ne se contentent pas de l’emprunter à leur voisin : « Pourriez-vous me prêter l’heure ? » moyen infaillible de recréer du « lien social » Ah oui, j’oubliais : après deux décennies de « moi d’abord » d’individualisme et de développement personnel, ce sont aujourd’hui la solidarité et le lien social qui sont « tendance. »
Alors moi qui depuis trente ans défend et applique les valeurs susdites en passant pour utopiste ou ringarde, me voici à présent furieusement tendance sans l’avoir cherché, quel pied ! A cet état de jubilation ricanante se greffe un sourire de Sphinx : même s’il est évident que ces revirements sont de pure circonstance comme le prouve le décret sur les rémunérations des dirigeants, d’une portée limitée dans son application et limitée dans le temps (après 2010, ça repart, et on se gave, les copains !) il n’est pas anodin que les discours des écologistes et altermondialistes soient aujourd’hui récupérés par les politiques et les people. Car, comme l’a très bien montré Hervé Kempf dans son livre « Comment les riches détruisent la planète », les classes moyennes, majoritaires en Occident, calquent leur mode de pensée et de vie sur les riches et les puissants. Elles rêvent plus de leur ressembler que de ressembler à des traîne savates chevelus dévorant des topinambours bio. Mais quand les topinambours sont servis Fouquet’s à des PDG, ils ont tout de suite la saveur du pouvoir, et plaisent. Dès qu’un ministre pédale, le vélo devient modeux, alors qu’il était vaguement gauchisant quand seuls l’utilisaient les gens convaincus depuis longtemps que c’est le mode de transport le moins polluant, bon pour la santé, le moral et le porte-monnaie.
Bref, même si l’on peut douter de la sincérité des fraîchement convertis, le fait que des discours autrefois marginaux fassent aujourd’hui la Une, y compris des journaux les plus réacs, va permettre aux snobs et aux timorés de se les approprier. Les révolutions ont besoin d’une avant-garde. Autrefois elle était bourgeoise et/ou intellectuelle, aujourd’hui elle est politique et people, chaque société a les leaders qu’elle mérite (ça me fait penser que nos intellos et philosophes de salon sont bigrement muets sur la crise économique et les enjeux écologiques)
Ensuite, bien sûr, il faudra se garder de la récupération par le marché et la publicité, qui fait que déjà les vêtements ou cosmétiques étiquetés « bio » affichent des prix pharaoniques, et construire une société où le travail devra être utile avant d’être rentable et servira à gagner et non perdre sa vie. Où l’on se souviendra aussi qu’il n’est pas une « charge » pour l’entreprise, mais le moteur de sa richesse. Ca va sans dire, mais ça va encore mieux en le disant.
QUE CECI NE NOUS FASSE PAS OUBLIER QUE AUJOURD’HUI 1er AVRIL, JULIEN COUPAT, N°D’ECROU 290173, EST DETENU DEPUIS 138 JOURS, TOUJOURS SANS RAISON. PENSER A LUI ECRIRE POUR LE SOUTENIR.