Il a 50 ans, depuis des années il souhaite partir en vacances en septembre mais pas question : dans son boulot, l’industrie, c’est en août qu’on part, saison creuse, parfois même fermeture des ateliers. Il a donc refusé une proposition de vacances en arrière-saison et retenu comme d’hab’ en août, mois qu’il déteste : trop de monde, tout est hors de prix.
Fin juillet, son employeur décide que finalement il faut avancer un dossier urgent : « Vous restez en août ». Travail 6 jours sur 7- « vous rattraperez vos journées plus tard »- et bien sûr annulation des vacances prévues. Avec le sentiment que cette urgence ne rime à rien, depuis des années dans sa boîte tout se fait à court terme,
« Tu es content alors ? C’est ce que tu voulais ? » -Non, parce que le projet que j’avais ne marche plus. J’ai dû improviser en hâte une solution qui ne me plaît qu’à moitié. » Il soupire : « J’en ai marre de ne rien pouvoir prévoir. » IL a travaillé plus et gagné plus, comme dirait l’autre. Mais perdu la maîtrise de sa vie. Part quand on le lui dit, reste quand on lui ordonne. Cet automne, il ne programme rien, trop peur de devoir annuler. Sentiment d’impuissance:
« C’est pénible de ne pas pouvoir choisir sa vie. » « Et si tu leur disais que tu ne veux plus être traité comme ça ? » Il écarquille les yeux : « C’est pas possible. » « Pourquoi ? Ils te licencieraient ? » « Non, pas après 25 ans de boîte, ça leur coûterait trop cher. » « Ben alors, que risques-tu ? Juste qu’ils te disent non. Mais si ça se trouve, ils comprendront. Tandis que si tu ne dis rien, ils n’ont aucune raison de penser que ça ne se fait pas de traiter les gens comme ça. » Il a souri : « Dans le fond, c’est pas faux » (ce mec là ne parle jamais en positif. Il ne dit pas « c’est vrai » mais c’est pas faux », c’est intelligent », mais « ce n’est pas stupide », « je suis content », mais « je ne suis pas mécontent ». Ca veut dire quoi, docteur ?)
Je me souviens de ma fille alors âgée de 5 ans disant : « J’ai envie de te demander quelque chose, mais j’ose pas. » « Pourquoi tu n’oses pas ? « « J’ai peur que tu dises non. » Je l’ai prise sur mes genoux : « Ma chérie, demande toujours ce dont tu as envie. Au mieux, je te dirai oui, au pire je te dirai non, mais ça te laisse une chance sur deux d’avoir ce que tu désires. Tandis que si tu n’oses pas demander, c’est 100% de chances de ne rien avoir. » Elle a demandé, j’ai dit oui, et précisé très vite : « N’oublie pas que si je te dis « non » un jour, ce n’est pas pour t’embêter, c’est juste parce que ce n’est pas toujours possible de dire « oui ». Toi aussi tu diras « non », parfois. »
Oser demander, dire oui, dire non, et ne pas se sentir humilié par un refus.