La beauté est dans la justesse absolue, quand rêve et réalité coïncident. Tant de dépits et de regrets naissent du lancinant sentiment qu’il existe un gouffre entre la vie réelle et la vie rêvée. Vivre en porte-à-faux « nuit grave » à la santé. Certains médecins prétendent même que la plupart des dépressions viennent de cet écart entre ce que l’on pense et ce que l’on dit, entre ce que l’on dit et ce que l’on fait.
Réduire cet écart, traquer partout la justesse rendent la vie belle.
Justesse des idées. Ne pas être dupe, résister à la tentation du lieu commun et de la théorie à la mode, derrière chaque concept lancé sur le marché « les nouvelles amazones », « les nouvelles rencontres amoureuses » « les nouvelles lois du commerce » chercher la justesse ou la manipulation. Qui cette idée sert-elle, quelles conceptions du monde, et au bout du compte, ces conceptions sont-elles les miennes ?
Elaborer ses propres valeurs, ne rien croire sans l’avoir soi-même expérimenté, donne à l’existence une saveur exquise, celle de dessiner soi-même les contours de sa vie pour en faire une création aussi belle que possible. Découvrir parfois que ce qu’on vous disait impossible était tout à fait possible, il suffisait d’oser. La peur déforme les traits, oser les embellit, l’audace rend l'âme joyeuse et les joues roses !
Justesse des mots, jubilation de l’écrivain. Passer des heures et davantage devant une phrase qui a du sens, écrite en bon français, plutôt élégante et bien rythmée, mais dont on sent au creux du ventre que ce n’est pas encore cela. La relire, chercher, puis en désespoir de cause, aller marcher quelques instants dans une allée après la pluie, quand les rayons du soleil renaissant font surgir des effluves de la terre : troublante odeur d’ozone des lendemains de pluie… On inspire et soudain vient l’inspiration, ce mot qu’on cherchait, qu’on avait au bout de la langue surgit comme une évidence, mot qui donnera à la phrase sa justesse et sa beauté. Il n’y a guère de sensation plus jubilatoire, à part peut-être le désir, le vrai. A différencier de l’envie, velléitaire, de l’excitation, organique, ou de la convoitise, intéressée.
Le désir est obstiné, gratuit, mystérieux : pourquoi cet homme, cette femme, cette peau précisément ? La réponse est limpide : parce que. Point. D’une justesse confondante : rien à expliquer ni à justifier. Justesse n’est pas justice.Il n’y a pas plus injuste que le désir, qui ne naît ni du mérite, ni des qualités de l’autre, mais d’une évidence : cet autre entre en vibration avec moi, créant des harmoniques imprévisibles d’une beauté à rire et pleurer à la fois, musique de l’inconscient qui se révèle.
Justesse de la musique soumise à des lois rigoureuses sous ses oripeaux d’artiste, ses fantaisies colorées, ses accords plaqués, ses arpèges glissant sur la peau comme des perles de nacre. Les notes parlent à nos cellules un langage précis. Selon les moments on sera d’humeur jazzy ou Schubert, assoiffé de rock flamboyant ou alangui par un fado où se mêlent sur le fil de la mélodie la joie et la mélancolie. Pure émotion, la musique touche parfois si fort qu’il faut l’arrêter avant que le cœur n’éclate, plonger dans le silence pour retrouver son calme.
Justesse encore, le silence et le temps. En cette ère bruyante et pressée, ils sont devenus un luxe d’autant plus absolu qu’ils ne s’achètent pas. A savourer très vite avant que quelqu’un, désemparé que les mots se soient tus, ne murmure : « un ange passe ».
(fragments d'un texte écrit il y a plusieurs années. Avec des images pour le plaisir...)