… mais pour moi ça veut dire beaucoup. La très officielle « Commission paritaire des Publications et Organes de Presse » vient de qualifier « Causette » dont je vous ai déjà parlé ici de « Publication d’information politique et générale ». Une première pour un magazine féminin ! Et un beau cadeau d’anniversaire pour les trois ans de ce magazine né le 8 mars 2009 que de plus en plus de lectrices (et pas mal de lecteurs) aiment toujours davantage, preuve, n’en déplaise à Beigbeder, que l’amour ne dure pas trois ans, mais peut commencer sérieusement à partir de 3 ans J
Si cette nouvelle me plaît, c’est parce que j’aime ce journal, certes, mais surtout parce qu’il a réussi en prenant systématiquement le contrepied de ce qu’on propose d’ordinaire en matière de projet de presse.
Paradoxe 1: ce magazine féminin a été initié par un homme, Gregory Lassus Debat, qui fut journaliste à L’Huma, à France 5 et autres medias généralistes et voulait répondre à sa copine et aux copines de sa copine qui ne se reconnaissaient pas dans les féminins qui « les prenaient pour des Quiches ». Belle idée, il n’était pas le premier à l’avoir eu, je connais plein de gens de presse qui ont souhaité un jour faire un féminin « intelligent » et se sont cassé le nez sur les impératifs budgétaires et les diktats des pubs cosmétiques et modeux. Lui, Gregory et son copain Gilles Bonjour (qui bossait dans une banque) se sont endettés : 90 000 euros en prêt à la consommation à un taux indécent, je veux dire cher, c’est dire si aucune banque ni groupe de presse n’étaient prêts à investir dans leur projet. Ils ont aussi choisi de se passer de pub dans un premier temps- de toutes façons, les annonceurs ne se bousculaient pas !- et de s’en tenir dans un second temps aux pubs exclusivement culturelles.
Paradoxe 2: malgré cette incertitude financière, Causette a recruté de vrais journalistes issus de la presse généraliste ainsi que des pigistes, tous payés normalement : « On a ramé les 18 premiers mois, reconnaît Liliane Roudière, rédactrice en chef, mais on a voulu que les gens soient payés correctement, condition sine qua non pour faire du journalisme de qualité. Depuis que ça marche, les salaires ont été augmentés, et les pigistes ont même bénéficié d’augmentations rétroactives ». Quand je vois certains magazines, malgré la pub, être bricolés avec des stagiaires et des pigistes payés au lance-pierre, et des magazines sur Internet proposer à des blogueurs ou auteurs de céder gratuitement leurs articles en leur faisant miroiter « visibilité et notoriété », le professionnalisme de Causette est vraiment réjouissant, d’autant que la réussite est au bout de ce professionnalisme.
En effet, après un démarrage lent et une image de magazine « féministe », donc forcément, pour les détracteurs, « chiant, agressif, avec du poil aux pattes et la haine de l’homme », les lectrices ont commencé à affluer, ravies de lire des articles intelligents, informatifs, engagés, féminins et bourrés d’humour. Féministe, Causette ? Pas du tout. A moins que ce ne soit féministe de penser que les femmes peuvent s’intéresser à la politique, à l’économie et à la culture tout en aimant la bonne chère et en étant jolies… Au bout d’un an, le magazine a fait des bénéfices et de bimestriel il est devenu mensuel en 2011 tout en préservant l’équilibre financier.
Paradoxe 3 : alors que les groupes de presse- dans le groupe Marie-Claire, c’était trois « panels » par mois- se ruinent en études de marketing pour cibler leurs lectrices : jeunes citadines branchouilles, mères de famille provinciales, divorcées bientôt Cougar, ménopausées qui n’osent l’avouer… et s’épuisent à vouloir coller aux attentes des lectrices c’est-à-dire, en gros, à leur offrir ce qu’elles ont déjà aimé au lieu de leur dénicher du nouveau et intéressant, Causette ratisse large : de 15 à 90 ans, dont un tiers d’abonnées qui pour un grand nombre ont reçu l’abonnement en cadeau… de leur chéri ! C’est la preuve que les lectrices ne s’identifient pas à un « segment de marché » mais tout simplement aiment lire ce journal pour son contenu. Comme on lit un news magazine ou un quotidien, ce qui devrait être l’objectif de n’importe quel journal.
Paradoxe n°4 : cette Publication d’Information politique et Générale ne nie aucunement sa féminité pour avoir l’air sérieux, à l’inverse des femmes politiques qui singent les manières masculines pour être prises au sérieux. Elles écrivent sur la sexualité des femmes, interrogent les candidats à la présidentielle sur l’égalité salariale entre hommes et femmes, se maquillent et s’habillent avec soin et interviewent des femmes célèbres ou inconnues.
Bref, Causette illustre merveilleusement l’idée qu’un concept réfléchi auquel on croit fermement a toutes les chances de réussir même s’il sort des sentiers battus de la logique dominante. Comme diraient mes copains de TINA : there are others alternatives. Comme je l’écris si souvent : on peut ouvrir les possibles. A moins de deux mois de la présidentielle, imaginer que d’autres projets de société sont possibles, même et surtout s’ils vont à l’encontre de la logique dominante qui ne marche plus trop bien, est particulièrement réconfortant.
Je poste ce billet le 7 mars alors que l’anniversaire de Causette est le 8 mars, simplement parce que le 8 mars est la Journée Internationale des femmes, et que cette journée façon « espèces à protéger » m’insupporte et m’insupportera, tant qu’il n’y aura pas une Journée des hommes pour célébrer l’autre moitié de l’humanité.