Mais c’est que ça ouvre l’esprit, une catastrophe naturelle ! Voilà qu’un tas de gens se passionnent pour Haïti via le tremblement de terre. Ils découvrent que cette île a été la première des Caraïbes à devenir indépendante et à obtenir l’abolition de l’esclavage, que le président de la FEMIS (la plus prestigieuse école de cinéma en France) est Haïtien et que ce peuple si miséreux regorge de poètes et d’écrivains. « Tu savais, Marcel, que Haïti, c’est sur la même île que la République Dominicaine ? » s’exclament certains. Oui, là où ils passent leurs vacances dans un club sans rien soupçonner de la vraie vie des habitants vu qu’ils n’en voient aucun, sauf les domestiques des hôtels …
Les medias adorent les catastrophes, ça remplit un journal TV avec édition spéciale à la clé. Voir le Tsunami, l’ouragan Katrina, ou les crues dans le sud de la France. Y a qu’en Chine que ça passionne moins, parce qu’ils sont tellement nombreux, les chinois, que le nombre des morts, par dizaines ou centaines de mille, perd de sa charge émotionnelle. Trop, c’est trop. Depuis cinq jours, les mêmes images : interviews de rescapés, description de scènes horribles, explications de sismologues, évaluation morbide du nombre de victimes et mobilisation : appels aux dons, et formidable élan de fraternité qui n’exclut pas une certaine rivalité. Ainsi, les Etats-Unis se posent en champions de l’action humanitaire en envoyant moult vions bourrés de matériels, suivis par le Canada ou la France avec leurs équipes entraînées aux interventions périlleuses. NS annonce solennellement qu’avec son ami Obama il va lancer une grande conférence internationale pour la reconstruction de l'île tandis qu’Eric Besson suspend les expulsions vers Haïti d’immigrés en situation irrégulière. Un tremblement de terre a plus de force qu’une guerre pour freiner ses ardeurs.
Sur place, les ONG qui oeuvrent en tout temps à Haïti réclament qu’on coordonne un peu tout ça, vu que faire atterrir des avions sur un aéroport endommagé par le séisme n’est pas sans risques. Cinq jours plus tard, le bel élan montre ses limites : la population manque de tout et la colère gronde. Il faut dire que les Haïtiens savent ce qu’il en est de la solidarité mondiale, vu qu’ils se sont fadés deux ouragans et une tempête tropicale en 2005, quatre ouragans et une tempête tropicale en 2008, sans compter les pluies diluviennes et autres torrents de boue d’autres années. Ils savent qu’une fois l’émotion passée, on les oublie.
Tout le monde reconnaît- le sommet de Copenhague est récent - que les cyclones et les ouragans, tout comme les sècheresses et les canicules augmentent en gravité et en fréquence du fait du dérèglement climatique. Ce qui n’a pas empêché les pays riches de s’en laver les mains et de ne s’engager en rien pour freiner cette multiplication des extrêmes climatiques. Leurs pays, grâce à Dieu qui les a situés en zone tempérée, en subiront des conséquences moindres que les zones tropicales qui sont, est-ce un hasard, les plus pauvres et les plus frappés par les catastrophes naturelles.
« Eh, oh, Françoise, un tremblement de terre c’est une fatalité, ça n’a rien à voir avec l’activité humaine ou la pauvreté ! » Exact, ça peut toucher tout le monde, mais ça n’a pas les mêmes conséquences. Au Japon, depuis le terrible séisme de Kobé, les japonais ont multiplié les constructions capables de résister à des tremblements de terre de forte magnitude. Ils en ont connu quelques-uns, faisant des dégâts mais peu de victimes. A Haïti, les maisons antisismiques doivent se compter sur les doigts d’une main. L’habitant vit avec deux dollars par jour, comment financerait-il des logements solides ? Autrefois, le porc noir de Haïti, costaud et peu exigeant, était la base de la nourriture locale, jusqu’à ce que les Etats-Unis ordonnent leur éradication par peur de la grippe porcine (et aussi pour imposer l’élevage de porcs américains bien gros et bien gras comme les aiment les américains, mais pas les Haïtiens). Ca n’a pas arrangé leur budget quotidien. Pendant des décennies, les dictateurs Duvallier père et fils, qui ont été pour beaucoup dans la décrépitude économique de Haïti, étaient discrètement soutenus par les USA, qui craignaient l’influence communiste de la voisine Cuba.
Heureusement, les catastrophes naturelles réconcilient tout le monde : Cuba- qui envoie des médecins à Haiti même en dehors des séismes- a autorisé les avions américains transportant du matériel de secours, à atterrir à Guantanamo, pour réduire leur temps de transport. Raul Castro a aussi envoyé du renfort médical à l’île sœur. Les Cubains ont d’excellents médecins, je l’ai déjà dit ici et vécu là-bas, et une grande expérience des catastrophes climatiques: l’ouragan Gustav qui dévasta Cuba avec sa force 4 n’y fit pas une seule victime, alors que passé à force 2 sur Haïti il y fit 66 morts, et 26 aux Etats-Unis. Le secret ? Pas une question d’argent, une question d’éducation : les Cubains sont entraînés à réagir en cas de catastrophes naturelle et ont assez de sens collectif pour s’organiser. Là-bas, la priorité est donnée à la préservation des personnes plutôt que des biens. A l’inverse de ce qui se passa en Louisiane, lors de l’ouragan Katrina.
Les dons qui affluent sont sans doute indispensable dans l’urgence, mais relèvent de la charité comtesse de Ségur qui avait « ses pauvres » mais ne les fréquentait pas. Opter pour des échanges équilibrés entre individus et nations sauverait infiniment plus de vies. Au sens physique et moral.
Laissons le mot de la fin à une amie Haïtienne à qui je demandais précautionneusement des nouvelles de sa famille. Elle a haussé les épaules : « J’ai plus personne là-bas, à part un vieux grand-père de 89 ans. Toute ma famille a fui la dictature il y a plus de trente ans » Je croyais que vous n’aviez qu’un fils ici. –Oui, ici. Le reste de la famille est dispersé entre les Etats-Unis et le Canada. On est allé là où on nous a donné des visas. »
J’avais prévu un billet amoureux et primesautier. Ce sera pour la prochaine fois.
Photos de Haïti et de Cuba, îles soeurs