… et tous les autres de la troupe, vous êtes trop nombreux pour tenir dans un seul titre, et de titre vous n'en avez qu'un : « Compagnie El Duende ». J'ai parlé de vous ici 7 fois, par exemple ici, ici, là, et encore là. Autant dire que j'ai déjà écrit tout le bien que je pense de vous et de vos spectacles depuis bientôt 10 ans- ce sera en 2014- que nous nous sommes découverts. Aujourd'hui, je veux juste vous remercier de m'avoir invitée à votre soirée de fin de chantier samedi 25 octobre mais je ne la raconterai pas, d'autres l'ont déjà fait.
Alors pourquoi ce billet ? Pour vous dire que je vous aime. Pas seulement à cause de vos spectacles qui me mettent à chaque fois le cœur en joie. Pas seulement parce que vous êtes des gens bien, chaleureux, pleins de talents et d'assurance mais sans vous la péter une seule seconde. Pas seulement parce que vous avez un engagement véritable, politique- ce n'est pas pour rien que les parents de certains d'entre vous ont fui le Chili de Pinochet- à travers le théâtre d'intervention avec des jeunes en difficulté, prouvant qu'à l'instar de Victor Hugo qui écrivait : « Ouvrez une école, vous fermerez une prison », « Ouvrir des jeunes au théâtre, c'est fermer la porte à la violence ». Pas seulement parce qu'en entendant les applaudissements, les cris de joie et les pieds qui martelaient le plancher de votre théâtre tout neuf lorsque la soirée a commencé, je me suis dit que vous n'aviez pas seulement un public fidèle mais surtout plein de gens qui vous considèrent comme des amis, ce qui est rare dans un milieu où le superficiel domine souvent.
Je vous aime parce que vous êtes des antidotes absolus au défaitisme ambiant. Depuis 25 ans, depuis l'adolescence, vous vivez votre passion comme un rêve. L'un d'entre vous a renoncé au cinéma après avoir fait la FEMIS (l'Ecole des cinéastes s'il en est!) parce qu'il trouvait le théâtre plus vrai. Laurent Terzieff avait fait le même choix, et ce n'était pas n'importe qui! A 15 ans, vous rêviez de jouer un jour dans « votre» théâtre. C'est aujourd'hui chose faite.
Cela a demandé 19 mois de travaux non pas forcés puisque c'était votre choix, mais de forçats, avec des journées commençant à 7h pour s'achever à 23h, les mains dans le ciment, les bras trimbalant des poutrelles métalliques, le cerveau fonctionnant à 10 000 tours pour savoir comment financer les travaux, comment résoudre un problème malencontreux de comblement de carrières, comment obtenir l'aval de la Commission de Sécurité pour les établissements recevant du public... Bref, malgré la joie pure de cette soirée du 25, j'ai bien compris que vous en avez chié des ronds de chapeau durant cette année et demi, entre angoisses et larmes, entre épuisement et inquiétude. Tout en devant assurer quelques spectacles, vous occuper de vos familles et parfois même dormir un peu.
Ce qui vous a tenu et vous a permis de répondre chacun« On continue », lorsqu'un jour particulièrement néfaste vous avez « voté » pour savoir si vous poursuiviez ou non ce projet fou, c'est l'envie viscérale de réaliser votre rêve, rêve qui voit loin dans l'avenir puisque ce théâtre, vous rêvez qu'il devienne un jour celui de vos enfants.
Ce qui vous a tenu est la devise de mon blog « Jouer au monde » : « Faire d'un rêve une réalité ». En ces temps où lorsqu'on parle de « changer le monde » » les décideurs coupent les ailes du rêve d'un cinglant : « à l'épreuve des faits, nia-nia-nia... » c'est une bouffée d'énergie que vous donnez en prouvant que l'impossible est possible lorsque on est assez fous pour y croire. Je vous aime pour cette folie qui me donne envie de vous écrire publiquement pour vous remercier de savoir mettre lyrisme dans l'existence, c'est-à-dire de l'enthousiasme et des sentiments, plutôt que du cynisme et de la dérision.
( Les 1,2 et 4 à partir de la gauche sont la famille Almeida, des pros de la construction qui ont osé se lancer dans ce chantier improbable et ont fait face à tous les aléas qui allaient avec!)
El Duende signifie "l'inspiration qui préside notamment à l'art du flamenco", quelque chose de charnel, quasi érotique. Au pluriel, el duendes désigne des Lutins. Pour moi qui ai inventé le mot Lutinage, c'est-à-dire le fait d'aimer au pluriel sans mettre des étiquettes sur les gens ni les sentiments, juste parce que nombre de personnes sont aimables, la coïncidence est savoureuse ! Et jubilatoire le fait d'entendre Andréa raconter ses discussions avec Louise pour trouver des financements en précisant « Louise, c'est la femme de mon ex-mari », mari qui vous aime à l'évidence toutes deux, pas de la même façon. Cette intelligence du cœur ne peut que me toucher.
J'ai participé comme beaucoup d'autres au financement de ce théâtre et à une journée de travaux. Pas par compassion comme lorsque j'envoie des sous pour une cause urgente. Pas par révolte comme lorsque je signe une pétition et envoie un chèque à une ONG combative. Juste parce que cela me faisait un immense plaisir de le faire.
En arrivant je suis allée saluer « mon » mur. Avec le sentiment qui domine quand je pense à vous que si la jubilation de voir un projet aboutir- quand je publie un roman, par exemple- est immense, cette jubilation est décuplée quand le projet résulte d'une dynamique collective.
Voilà, c'est ça : je vous aime parce que vous osez, vous osez jouer, vous jouez collectif. Et vous savez faire la fête avec talent !
PS. Il n'est pas trop tard pour rejoindre El Duende. Si vous avez envie d'avoir chaud cet hiver pendant les spectacles, participez au financement du chauffage qui reste à installer !