Face à l'adversité, deux façons de réagir : s'en prendre aux autres ou à soi. Ce qu'on appelait autrefois les personnalités de type A ou B. Par exemple, s'il perd ses clés, le « type A » s'énerve, vocifère, appelle tous ses proches pour leur demander « ce qu'il ont bien pu faire de ses clés qu'il est sûr de leur avoir prêté un jour », va déposer plainte pour perte ou vol ( « Perte ou vol, monsieur ? Ce n'est pas le même formulaire » s'insurge le cerbère policier) et lorsqu'il retrouve enfin le trousseau dans la poche de son blouson, clame à qui veut l'entendre qu'un naze quelconque lui a fait une blague pour lui faire croire qu'il perd la tête. La maladie d'Alzheimer, est la hantise des papy-boomers qui s'en croient atteints dès qu'ils ont quelques DADA : déficits d'attention dus à l'âge. Mais ne leur parlez pas d'âge, ils détestent ça ! Le papy-boomer ne vieillit pas, il mûrit, grisonne gentiment et trouve détestable que des gamins de 40 ans le vouvoient, ça fait bourge... Le type A , qui s'échauffe facilement, est candidat à l'infarctus, à l'AVC et aux accidents de la route, toujours provoqués par des imbéciles qui se croient tout permis.
Les personnalités de type B perdent aussi leurs clés mais alors elles battent leur coulpe, s'en veulent d'être si étourdies et prennent rendez-vous pour une consultation Alzheimer dès que la chose se répète deux ou trois fois. Avec les frais que cela induit pour la collectivité, leur angoisse, et la nuisance de traitements dont l'efficacité est sans doute inférieure à la stimulation naturelle et régulière des neurones par une vie sociale et culturelle nourrie. (tiens, les vieux bonzes qui pensent que les « intermittents du spectacle» sont des parasites sociaux : pas du tout, ils contribuent à l'équilibre mental de leurs contemporains!) Les « type B » qui « se rongent les sangs » sont candidats aux ulcères, dépressions, voire cancers ou suicides quand l'adversité dépasse la perte d'un trousseau de clés.
Il existe une troisième voie, pacifique pour soi et pour les autres : la confiance en soi et en son étoile. C'est un fait corroboré par aucune étude scientifique autre que mes années d'expérience, mais j'ai remarqué que cette confiance a souvent des retombées positives, et au moins, évite de se ronger les sangs et de faire chier les autres.
J'ai déjà raconté comment j'ai retrouvé un chèque égaré de 9000 francs en écoutant simplement la voix nocturne qui m'indiquait où le retrouver. Que ce soit une divinité quelconque ou mon inconscient qui m'ait inspirée, c'était le résultat du processus que j'avais enclenché: parcourir en mémoire ce qui s'est passé depuis la dernière fois qu'on a vu l'objet. Lorsque se produit un « trou » dans cette remontée du temps, c'est mauvais signe, signe qu'à ce moment précis l'objet s'est défilé. Car l'objet inanimé a une âme, tout poète le sait. Observer les replis et malices de cette âme aide grandement à ne plus se laisser surprendre.
A force d'étudier les mœurs de la seconde chaussette- celle qui manque régulièrement lorsqu'on range le linge propre- j'ai découvert sa propension à tomber du monceau de linge sale dans l'escalier du sous-sol (qui, n'ayant pas de nez de marches, avale et cache prestement ladite chaussette, la complicité des objets entre eux pour échapper à l'emprise humaine est surprenante mais je les comprends) et à se coller aux parois du tambour de la machine à laver. D'où l'habitude prise de jeter un coup d’œil sous l'escalier du sous-sol AVANT de mettre la lessive en route, et de faire tourner manuellement le tambour APRES la lessive pour décoller les chaussettes tapies sur la paroi. Résultat : plus de seconde chaussette manquante ou presque.
Mais revenons à la méthode C : lorsqu'il s'avère que l'objet a fugué en profitant d'une faille d'attention, la probabilité de le retrouver s'amenuise. C'est alors qu'intervient la confiance en soi et en son étoile. Inutile de battre sa coulpe, ça fait mal et ne sert à rien, ni d'invectiver les autres. Une seule certitude réconfortante : l'objet est quelque part sur cette planète, et moi aussi. Je sais qu'il existe, lui aussi me connaît. Par conséquent, il y a plus de chances que nous nous retrouvions qu'il n'y avait de chances de nous trouver quand ni lui ni moi ne connaissions notre mutuelle existence : cette première « rencontre » ayant eu lieu, pourquoi perdre foi en des retrouvailles ?
Par parenthèses, cette méthode fonctionne aussi en amour. A chaque rupture, je me dis qu'il y avait une chance sur 3 milliards que je rencontre cet homme, une sur trois millions pour que nous nous plaisions, et même si, au moment de la rupture, la conjoncture paraît nettement défavorable, il y a désormais plus d'une chance sur 3 milliards pour que nous nous retrouvions un jour pour une relation pas forcément passionnelle- tant mieux, la passion n'est pas faite pour durer- mais éventuellement amoureuse ou tendrement amicale. Cela vous fait sourire ? Pourtant, il m'est arrivé un, trois, cinq, voire dix ans après la rupture, de renouer avec ces amours des liens qui cette fois-ci n'ont pas de terme prévisible, car plus aucun des enjeux qui fragilisent les relations.
Et s'il ne revient pas ? Objecterez-vous. N'étant pas encore morte, ni lui, rien ne prouve qu'une retrouvaille est impossible. Cette conviction me rend sereine, jusqu'au moment où le souvenir de la personne (ou de l'objet) s'est si estompé que leur retour n'a plus en fait d'importance. Je ne dis pas que cela efface toute mélancolie- c'est joli, d'ailleurs, la mélancolie- mais ça protège des chagrins destructeurs.
Pour en revenir aux objets, j'ai égaré un été mes papiers de voiture. Mon retour sur le passé récent m'indiqua qu'ils avaient du s'enfoncer dans le sable lorsque le sac de plage s'était renversé. Vu la difficulté à faire comprendre aux CRS que les papiers de ma voiture prolongeaient leurs vacances, j'en fis cependant faire des duplicata. Quinze mois plus tard, je reçus mes papiers originels dans une enveloppe expédiée de Normandie, sans un mot d'accompagnement. Quelqu'un les avait trouvés et avait durant plus d'un an négligé de les renvoyer. Leur état impeccable prouvait en effet qu'ils n'avaient pas longtemps séjourné dans le sable humide. Et que j'avais eu raison decroire leur retour possible.
Puis ce fut la fugue d'un porte-carte contenant de l'argent, des chèques vierges et ma carte d'identité. J'avais peu de chances d'en retrouver le contenu, mais gardais intacte l'idée de retrouver le contenant de cuir vert, dont je situais la disparition à moins de dix mètres de chez moi, sans doute lorsque, pressée d'ouvrir ma porte, j'avais sorti les clés de mon sac avant d'arriver et fait tomber le porte-carte. Quatre jours passèrent. Le cinquième je retrouvai dans ma boîte à lettres le porte-carte et son contenu, y compris l'argent liquide, accompagné d'un message: « J'ai trouvé ceci dans la ruelle près de chez vous, et en lisant votre carte d'identité, j'ai su que c'était à vous. Signé : votre voisin du dessus. J'ai remercié chaleureusement le voisin, grondé mon porte-cartes qui n'avait pas souffert de son escapade malgré le crachin, et décidé de ne plus le mettre dans la même poche de sac que mes clés.
Car c'est un élément essentiel de la méthode C : tirer des enseignements de chaque expérience, pour ne pas tomber dans ce que Freud nomme « le principe de répétition », qui consiste à refaire inlassablement les mêmes erreurs. Les types « B » enclins à s'auto-flageller en gémissant « c'est toujours sur moi que ça tombe ! » (les objets perdus, les hommes malveillants, les loubards malintentionnés) ont tendance à répéter à l'envie les mêmes schémas, tout en s'étonnant qu'ils aient les mêmes conséquences. Exemple mondain : si Valérie T avait observé avec neutralité- sans s'en réjouir- la manière goujate qu'a eu François H. de dire d'elle « j'ai rencontré la femme de ma vie » en oubliant ses 25 ans avec Ségolène R. et ses 4 enfants, elle ne serait pas étonnée aujourd'hui de la manière goujate dont il l'a congédiée comme un monarque change de favorite. On peut même espérer qu'elle aurait eu le bon sens de le quitter la première !
Que les romantiques persuadées que leur amour va changer le macho indélicat en féministe tendre déchantent : un homme peut évoluer, mais le fonds demeure et réapparaît volontiers au galop, comme le naturel du proverbe. Cela n'empêche aucunement de vivre une belle histoire avec lui, mais en sachant, comme pour les chaussettes, passer régulièrement une main à l'intérieur du tambour de son crâne pour savoir ce qu'il y dissimule.
Pour en revenir au sac, je me suis demandé si mon expérience des doublures qui craquent et avalent les petits objets ne justifiait pas d'acquérir un sac totalement « made in France » réalisé par des artisans amoureux de leur savoir-faire et de la qualité qui en résulte. Las ! Excepté les très grandes et très chères marques- deux ou trois en France- même les sacs « de marque française » sont aujourd'hui en tout ou partie réalisés ailleurs, pas forcément en Chine. La délocalisation ayant la faveur de ceux qui croient que le coût du travail est le maillon faible de la France (en oubliant le coût des dividendes et celui des transports, si largement subventionnés qu'il est rentable pour certaines entreprises d'importer des pommes du Chili quitte à jeter celles produites en France) ces chefs d'entreprises ont importé le dumping social dans les pays d'Europe, notamment de l'Est, sans aucun souci des conséquences politiques et violentes de cette exploitation.
Il mélange bien des choses ce billet, penserez-vous. Pas tant que cela. C'est une base essentielle de ma vie: sans confiance en moi et en mon étoile, le désir d'améliorer les relations amoureuses et le monde en général m'aurait quitté en moins de temps qu'il n'en faut à une chaussette pour disparaître sous un lit, autre malignité bien repérée !