Brigitte Lahaie me le fit remarquer lors d'une récente émission. Il y a quelques années, ses auditeurs avaient des fantasmes extrêmement variés (faire l'amour en forêt, déguisé en curé, avec les yeux bandés, au terme d'un strip-poker, en se caressant avec une plume...1). Aujourd'hui, pour 9 auditeurs sur 10, fantasme= libertinage. Aller en couple dans un club pour s'envoyer en l'air avec des inconnus. C'est la mode, les journaux en parlent, donc ils en rêvent.
Je n'ai rien contre le libertinage, encore que je récuse l'idée qu'il faille forcément être libertin pour être libéré. En revanche, je suis vénère-vénère à l'idée que l'imagination érotique se réduise comme peau de chagrin et que l'expression des désirs soit colonisée par les idées reçues et le sexuellement correct qui affadit le plaisir aussi intensément que le politiquement correct affadit l'intelligence.
Ça ne date pas d'aujourd'hui, certes. Il y a quelques décennies, les manuels de sexologie séparaient les femmes en vaginales : femmes épanouies et sexuellement mûres qui trouvent leur jouissance avec le sacro saint Phallus, et les clitoridiennes : femmes infantiles dont le plaisir forcément superficiel traduisait une peur de l'homme, voire une tendance lesbienne...
Que des hommes sentencieux viennent expliquer aux femmes ce qu'est l'Orgasme et comment elles doivent jouir, comme s'il existait UN orgasme type et comme si jouir était le seul objectif de la rencontre entre les corps, c'est déjà agaçant. Mais lorsque les manuels de sexologie qualifient de « préliminaires » des caresses et dégustations délicieuses, sous-entendant qu'il s'agit d'une corvée imposée aux mâles pour préparer la femelle à la divine pénétration, non ! Cette idée de « préliminaires » a complexé bien des femmes, confuses à l'idée que leur partenaire leur faisait des gâteries sans y prendre plaisir, juste parce qu'elles étaient lentes à la détente. Ce qui n'allait pas dans le sens d'une réelle estime de leur corps et de leur sexe.
Aujourd’hui tendance inverse : il faut tout faire, qu'on aime ou pas. Je me souviens d'une jeune fille de 19 ans venue m'aborder : « Vous qui connaissez les hommes... Mon copain veut me sodomiser, est-ce que je dois le faire ? » Je lui répondit qu'il n'y avait aucune obligation de faire quoi que ce soit en amour, excepté celle de ne faire que ce qu'on désire vraiment. Elle n'avait aucune envie de sodomie, craignant que cela fasse mal ou soit sale, mais hésitait à l'avouer car son copain lui avait affirmé 1) que si elle l'aimait, elle devait le faire 2) que toutes les filles le faisaient. Une enquête ayant conclu à l'époque que si la fellation était entrée dans les habitudes, la sodomie n'était encore pratiquée que par 17 % des femmes, je pus rassurer la jeune fille en lui affirmant que tout le monde ne le faisait pas, que des milliers de personnes vivaient heureux sans sodomie, et que même si tout le monde le faisait, elle n'aurait aucune obligation de faire comme tout le monde.
Faire comme tout le monde, dans un monde où chacun rêve d'originalité et clame son individualisme, n'est-ce pas paradoxal ?
Que les medias, en appelant les godes et vibros « sex-toys » (ça fait plus chic, sans doute) les aient transformés en objets quasi indispensables au plaisir, tout en conseillant des formes anodines, genre marguerite avec cœur vibrant ou petit canard de Sex and the city plutôt que de solides bites en silicone avec les veines apparentes, ce n'est pas libérateur, c'est moutonnier. Les filles qui achètent aujourd'hui ces « jouets intimes »dans des « espaces coquins » sont les mêmes qui, avant l'invasion des articles sur les sex-toys dans leurs magazines, refusaient d'un ton outré l'idée d'en posséder un : « je n'ai pas besoin de « ça », j'ai un copain ». Drôle de réponse, ce n'est pas du tout le même usage, aucun amant en action ne fait vrrrvrrrvrrr, c'est même pour ça que je les aime. Entre autres...
Lorsque les magazines recommandent d'acheter un sex-toy étanche pour pouvoir l'utiliser dans la baignoire « en toute intimité », je me marre, car il existe déjà dans la salle de bains : la douchette avec flexible- encore plus voluptueuse si elle possède plusieurs forces de jets- qui permet d'expérimenter les effets successifs de l'eau tiède, chaude ou froide sur le clitoris. Le meilleur accessoire sexuel, c'est l'imagination, qui transforme les objets de la vie quotidienne en alliés du plaisir et hop ! Plus besoin de boutiques spécialisées, il suffit d'avoir l'humeur joueuse. Un ami tarlouze ( il détestait le terme gay, lui préférant pédé, tarlouze ou inverti) s'approvisionnait d'ailleurs au rayon bricolage du BHV, l'antre de tous les plaisirs. Nos conversations m'ont inspiré la nouvelle « Boîte à outils » où une jeune quincaillière découvre le potentiel érotique de sa boutique.
Pire que le sexuellement correct des magazines féminins, le pornographiquement correct donne aux hommes des idées fausses et des gestes inadaptés. Non, les garçons, les femmes ne rêvent pas toutes d'être grandes ouvertes, élargies... le vagin est élastique mais ce n'est pas un tunnel à quatre voies, et même si, comme justifient certains adeptes de pratiques extrêmes : « une tête d'enfant peut y passer », qu'ils sachent que très peu de femmes trouvent qu'accoucher est une partie de plaisir et que s'ils poursuivent dans l'erreur, elles exigeront une péridurale avant de coucher avec eux. Quoi qu'en montrent les films, les coïts interminables ne sont pas non plus indispensables, on finit au mieux par s'ennuyer, au pire par s'irriter, aux deux sens du terme. Les acteurs X ne sont pas des champions d'endurance, ils bénéficient juste du talent du monteur qui copie/colle des séquences et met le « raccord éjac » là où il faut, tandis que le comédien est depuis longtemps reparti dîner chez lui.
Toutes les femmes ne sont pas non plus des soumises, n'en déplaise aux « 50 nuances de gris » et autres romances pimentées à succès. Elles peuvent aimer dominer, ou même- eh oui- passer d'un rôle à l'autre, ou même- eh oui- préférer l'amour paisible mais voluptueux tant la peau, l'odeur ou la voix de leur partenaire les excite, sans qu'il soit obligé pour les combler de sortir des sentiers battus, encore qu'un sentier battu vaille mieux qu'une femme battue. Toutes les femmes ne les désirent pas dès le premier regard, comme dans ces films où l'héroïne sonne à la porte du château et, dès le plan suivant, pratique une fellation au maître de maison avec une application de fermière trayant son troupeau et guère plus de plaisir dans les yeux. ( le regard des actrices de films porno est une énigme : à quoi pensent-elles ? )
Voyez-vous, amis garçons, il est des femmes- j'en suis- qui s'intéressent d'abord à l'homme, ensuite à son sexe, et c'est pourquoi « on baise ? » est une salutation grossière. « Bonjour, on baise ? » un valeureux effort de courtoisie, mais « Qu'est-ce qui te ferait plaisir ? » ma phrase préférée venant d'un maître d'hôtel proposant la carte des desserts ou d'un homme avec lequel le désir apparaît comme une délicieuse évidence.
1Exemples personnels, mais les auditeurs exprimaient ce genre de désirs