Deux couples, Jacques et Carole, d'âge mûr, Edith et François, juste mariés. Ils sont voisins, deviennent amis : François, médecin, est le successeur de Jacques, Edith trouve auprès de Carole une amie joyeuse et maternelle. Tous les quatre s'entendent à merveille : dîners champêtres, promenades, rires... Le bonheur. Au cours d'une partie de pêche, Jacques et Edith se trouvent en tête-à-tête et échangent un regard émerveillé. Ce regard qui s'appelle Désir. Pas seulement le désir de l'un pour l'autre et de l'une pour l'autre, non : le désir comme énergie de Vie quand tout-à-coup, sans qu'on puisse l'expliquer, une personne nouvelle entre dans votre univers et lui donne un éclat supplémentaire. C'est un bonheur indicible que cette sensation de plus de vie, plus d'envie, plus de force que donne ce désir, qui dépasse largement le cadre sexuel. Murmure d'un spectateur : « Ca sent le dérapage... »
Edith et Jacques s'aiment, sans pour autant cesser d'aimer leurs conjoints respectifs, et on voit sur les deux personnages (J.Pierre Bacri et Isabelle Carré, excellents) la lumière s'épanouir et les rendre plus beaux. L'amitié entre les deux couples reste intacte, Carole adore Edith, qui le lui rend bien. Jusqu'au jour où, allant chercher une bouteille à la cave, Carole voit Jacques et Edith s'embrasser. Patatras et vaudeville... François, le jeune médecin, quitte la maison en trombe, poursuivi par une épouse en pleurs qui lui demande pardon. Le lendemain, dispute violente entre Jacques et Carole qui tourne au drame lorsque Carole se blesse grièvement contre une baie vitrée. Elle s'en tire, retrouve Jacques et sa vie d'avant, tandis que le jeune couple déménage et qu'on aperçoit Jacques, nez contre la vitre, s'assombrir doucement en voyant partir la jeune femme. Perte de lumière.
Commentaires sur le film, entre amis. Certains com', plutôt masculins, y voient la preuve que « l'amitié entre homme et femme est vouée à déraper » ou regrettent que les deux amants n'aient pas eu l'intelligence de mieux se cacher. D'autres, plutôt féminins, constatent que, comme d'hab, « la laissée pour compte est la femme plus âgée et le séducteur l'homme mûr », ou regrettent elles aussi que pour « une passade, ces deux là aient détruit la belle harmonie entre les deux couples. »
Je remarque que ce n'est pas une passade, mais de l'amour, qui n'aurait jamais dû mettre en danger l'harmonie entre les deux couples qui continuaient à exister et à s'aimer. « Mais quand même, Carole surprend son mec en train d'embrasser la voisine... - Ben oui et alors ? Qu'elle ait un moment de surprise, voire de colère en s'apercevant qu'on lui a caché quelque chose, c'est logique, mais pourquoi en rester à cette réaction viscérale et brusquement ne plus pouvoir aimer Edith ? La jeune femme n'est pas devenue sans intérêt juste parce qu'elle aime Jacques ! Au contraire, ca ajoute même un point commun entre les deux femmes:) Ca me fait penser aux personnes qui lorsqu'elles cessent d'aimer traitent leur ex de tas de noms d'oiseaux ! Ca arrive qu'on n'aime plus ou qu'on ne soit plus aimé, c'est évidemment douloureux, mais ça ne devrait vous rendre ni odieux ni idiot. »
Blanc dans la discussion, comme si j'étais une martienne parlant une langue inintelligible, que j'ai interrompu en concluant: « C'est un film grand public, il répond à ce qu'attend le public : un coup de cœur, un coup de désir, ça doit forcément se payer et au final l'ordre est sauf puisque les deux couples se referment sur eux-mêmes.
Deuxième anecdote : sur le site polyamour.info, je poste la question que m'a posé un ami de 65 ans : « Comment fait-on pour satisfaire plusieurs amoureuses quand on vieillit et qu'on a des problèmes de santé et particulièrement d'érection ? » Sous-entendu : votre truc, c'est pour les jeunes qui ont les moyens et l'énergie d'assurer. La réponse de Tentacara ne tarde pas: «Que ton ami se rassure, la satisfaction de son (ses) amoureuse(s) ne reposant plus sur ses seules épaules, il peut profiter de ce que son âge peut offrir de plus précieux : DU TEMPS! ! Puis celle d'un pluriamoureux plein d'humour : « J'ai 65 ans, et parfois mes érections tardent à se manifester, mais je ne suis ni manchot ni sans langue. Aucune ne trouve à redire. »
Bref, les amours plurielles, en permettant à chacun d'offrir ce qu'il peut offrir au lieu de se lamenter de ce qu'il ne peut plus offrir, et en ne s'offusquant pas de ce que d'autres participent au bonheur des aimé(e)s prolongent la vie amoureuse au delà de la limite qui faisait si peur à Romain Gary.
De ces deux anecdotes récentes, je me dis que bien au-delà de « l'adultère dédramatisé » comme le présentent trop souvent les medias, les pluriamoureux apportent un regard autre, fondé non sur la possession ou sur la performance, mais sur le désir et le bonheur de découvrir d'autres personnes et d'autres façons d'aimer, qui n'entrent pas en rivalité mais en résonance, en complémentarité.
C'est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup. A savoir que ce changement radical de logique amoureuse permet d'imaginer des désirs stimulants et des amours joyeuses au lieu des drames de la jalousie, drames de l'ennui et autres conflits qui empoisonnent et tuent tant de relations. Cet abandon d'une logique de possession et de compétition dans la vie privée pourrait s'étendre à des sphères de la vie publique, ce qui fera l'objet de prochains billets.
Une des chansons les plus cruelles et les plus belles que je connaisse sur l'âge...