C’était à la fin des années 80. J’étais pigiste et cumulais parfois jusqu’à 14 feuilles de paye en un mois, chacune pour des montants dérisoires. Autant dire que cette paperasse encombrait mes tiroirs dans lesquels je faisais périodiquement un tri drastique. Un jour de tri drastique, justement, j’avais le sourire aux lèvres : j’avais reçu un chèque de 9000 francs pour la réalisation d’un gros dossier. Neuf mille francs, 1372 €, ça ne veut rien dire pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup, car à l’époque, avec cette somme, on vivait pendant plus d’un mois.
Dans l’après midi, je décidai d’aller mettre ce chèque à la banque. Plus de chèque ! Nulle part. Mon cœur s’arrêta, il le fait parfois en cas d’émotion forte, j’oublie aussi de respirer, je suis la reine de l’apnée. Je courus fébrile jusqu’à la poubelle. Poubelle renversée, moi à quatre pattes dans le tas de papiers et de détritus à la recherche du chèque. RIEN. Retour à mon bureau, fouille minutieuse de tous les tiroirs, en vain. J’étais désespérée, car il était impensable de demander un autre chèque vu mes relations fraîchotes avec la compta. Ils m’auraient ri au nez : « Vous jetez vos chèques à la poubelle ? Vous ne devez pas en avoir bien besoin ! »
Je me couchai la mort dans l’âme en priant « Mon Dieu, mon Dieu, fais que je retrouve ce chèque et je croirai en Toi ». On a beau être agnostique, on garde un fond de pensée magique.
Dans la nuit, j’entendis une voix forte : « Françoise, ton chèque est dans le troisième bureau du meuble blanc, va-y !» J’allumai ma lampe : quatre heures du matin ! Je devais avoir rêvé, et même si mon chèque y était, il attendrait bien jusqu’à 7h. J’éteignis, m’assoupis, mais la voix hurla dans mon oreille : « Va z-y MAINTENANT !!! » J’allai dans mon bureau, ouvris le tiroir que j’avais entièrement fouillé la veille, feuilletai un à un tous les papiers et dossiers qui s’y trouvaient. RIEN. La voix s’était bien foutue de moi ! Ulcérée, je remis chaque dossier en place, et en soulevant le dernier par la tranche, les pages s’en écartèrent, mon chèque s’envola gracieusement et atterrit à mes pieds.
Quelques années plus tard, je me trouvais en Grèce sur un bateau qui tomba en panne au large sous un soleil de plomb. Yannis (le plongeur dont je vous ai déjà parlé) et son pilote suèrent vingt minutes sans arriver à faire démarrer le moteur. Je les écartai d’un revers de main. « Attendez, j’ai peut-être une solution ». D’une voix de stentor sur la mer d’huile, je criai : « Dieu, on est en panne, on crève de chaud et la femme de Yannis va s’inquiéter. Si tu existes, fais quelque chose et je croirai en Toi ! » Puis, m’adressant au pilote : « Essaie de démarrer. » Il éclata de rire, tira sur la manette… et le moteur démarra en ahanant un peu.
Yannis, qui est croyant, fut surpris de mes relations intimes avec Dieu. Mon cher et tendre, est-ce l’Amour ? - suppose que je suis Dieu sans le savoir et impose ma volonté au Destin. Un ami pragmatique pense que j’ai retrouvé mon chèque parce que mon inconscient a retracé tous mes gestes de la journée et m’a fait retrouver où il était. OK, mais quid du moteur du bateau ? Moi, toujours agnostique (qui ne signifie pas « je ne crois pas », mais « je ne sais pas ») j’ai tendance à croire que la confiance dans la Vie et la force du mental, peuvent agir sur les choses et les événements. Est-ce ou non vrai ? Peu importe, tant que ça marche.