En 1995, Bogota, capitale de la Colombie battait des records de criminalité (3365 personnes assassinées en un an) et de mortalité automobile (1400 tués), la pollution rivalisait avec celle de Mexico et les embouteillages rendaient les transports lents et épuisants. L’élection d’Enrique Penalosa à la tête de la ville en 1998, puis de Eduardo Gazon, tous deux membres du parti Vert, a radicalement changé la donne. Penalosa a enterré les projets d’autoroutes urbaines préconisées par des experts en développement japonais pour améliorer la circulation, au profit de pistes cyclables et d’une immense avenue piétonne. Avec les milliards économisés sur le budget des autoroutes, il a construit des écoles et des bibliothèques et financé un système de bus rapides peu polluants, le Transmilenio. Parallèlement, il a interdit aux automobilistes d’utiliser leur voiture aux heures de pointe
plus de trois fois par semaine, et augmenté les taxes sur l’essence. Rage des automobilistes, tollé des commerçants, un peu comme lorsque Bertrand Delanoë a multiplié les pistes cyclables et volontairement réduit la circulation automobile dans Paris.
Parallèlement, le maire considéra qu’essayer de concurrencer les pays riches sur le plan de la croissance et de la consommation, c’était aller à l’échec et donner aux Colombiens le sentiment qu’ils étaient pour longtemps des citoyens de seconde zone. « Au lieu de richesse matérielle, offrons leur du bien-être et du bonheur » se dit-il, en favorisant les espaces publics de rencontre, la culture, l’éducation, etc.
Résultat des courses : trois ans après son arrivée à la mairie de Bogota, le taux d’homicides dans la ville avait chuté de 40% et continue de reculer (sans répression supplémentaire …) Même chose pour les accidents mortels de la circulation. Quant à la circulation automobile restante, elle s’est fluidifiée : plus rapide, moins de pollution.
Des histoires comme cela, il y en a des dizaines dans le Hors Série de « Courrier International d’octobre 2009 « LA VIE MEILLEURE Mode d’emploi » que j’ai enfin pris le temps de lire, profitant de mon immobilité. Pas des histoires de gentils écolos fermant les robinets- même s’il est préférable de le faire et d’éteindre la lumière en sortant d’une pièce J- pas de nouvelles technologies « vertes » ou de gadgets écolos : des histoires de gens qui prennent le temps d’analyser une situation, et de la transformer en s’attaquant aux causes. Parfois contraints et forcés : à Cuba, face à la pénurie alimentaire, les cubains sont passés en une dizaine d’années d’une agriculture chimique, mécanisée, intensive et monoculturale (essentiellement canne à sucre et tabac) à une agriculture vivrière, biologique et proche des consommateurs. Avec à la clé la possibilité de l’autosuffisance alimentaire.
Partout dans le monde ça bouge : en Belgique, en Russie, en Chine, aux Etats-Unis, en Pologne, en Allemagne, au Danemark, au Québec, au Brésil, avec des expériences pour transformer l’urbanisme et les relations humaines, réduire le gaspillage alimentaire, promouvoir le lien social et les économies d’énergie, repenser l’utilité et les objectifs du travail… Je n’ai pas encore tout lu, mais je cherche encore l’article sur LA réflexion globale en France et plus encore les réalisations qui en découleraient. Je suis sûre qu’il en existe, ça se voit sur la Toile, avec une profusion d’initiatives qui toutes vont dans le même sens : privilégier l’Etre et non l’Avoir.
Face à une crise plus morale qu’économique- car avec un comportement moral des acteurs économiques et financiers il n’y aurait pas de crise- il est suicidaire, ou au moins démoralisant de vouloir s’opposer de front au capitalisme financier. Un coup à prendre des coups sansaucun effet favorable. En revanche, lui tourner le dos, vivre « à côté » et autrement, c’est possible. Eloge de la fuite… Je me réjouis que la majorité des expériences décrites par « Courrier International » soient initiées par la mouvance écologiste, qu’on disait ringarde et utopique il y a seulement cinq ans Aujourd’hui, ces idées sont les seules qui font réellement avancer les choses. J’allais dire : « tout comme le Lutinage est la seule idée qui fait vraiment réfléchir à ce qu’est l’amour et à l’évolution des relations hommes/ femmes dans un sens plus généreux et respectueux». Beaucoup de Lutins sont d’ailleurs proches des écologistes, il n’y a pas de hasard…