Les polars ont l'avantage d’expliquer et de faire vivre de l'intérieur des situations que les débats d'experts et même les documentaires ont du mal à clarifier. C'est ainsi que depuis 2010 Petros Markaris raconte la crise grecque à travers les aventures du commissaire Kostas Charitos, flic banal mais tenace, aux prises avec des criminels hors du commun.
Après « Liquidations à la grecque » et avant « Pain, éducation, liberté » « Le justicier d'Athènes » met en scène un mystérieux « Percepteur national » qui assassine méthodiquement les grands fraudeurs fiscaux. A la ciguë, et ce n'est pas par hasard. ( au passage, la ciguë a l'air bigrement efficace pour occire discrètement son prochain...). Dans le même temps, Katerina, la fille chérie du commissaire, lasse de bosser bénévolement, envisage de s'exiler dans l'espoir de gagner un peu d'argent. Les exilés Grecs d'autrefois faisaient partie du peuple le plus pauvre, ceux d'aujourd'hui sont souvent très diplômés, et amers de voir leurs efforts réduits à néant.
Petros Markaris- ou est-ce le traducteur ? - ne s'embarrasse pas de style littéraire et de réflexions métaphysiques à la manière d'un San-Antonio. Le commissaire Charitos mène son enquête avec la bonhomie et l'obstination d'un Maigret et une véritable obsession des embouteillages à Athènes. Ce faisant, par petites touches il révèle à travers une foule de personnages- politiciens, hauts fonctionnaires, entrepreneurs véreux- les raisons de la crise grecque qui n'a aucune raison de s'arrêter tant que ceux qui ont créé cette crise restent aux commandes du pays. Il décrit aussi les petites lâchetés et les grands désespoirs des Grecs, mais également ce qui les fait tenir : une solidarité familiale sans failles, le goût tenace des repas de famille et d'amis qu'on bricole avec ce qu'on a, ainsi que le désir d'en découdre avec ceux qui les ont menés là, de les faire payer...
Dans les romans de Markaris, les victimes sont généralement des personnages immondes, et les criminels des personnages blessés ou révoltés par les injustices. Ce qui les rend sympathiques et révèle sans doute dans l'inconscient de l'auteur, et peut-être de tous les Grecs, le désir de tuer, au moins symboliquement, les responsables de la crise.
Excessif ? Exagéré ? Un récent documentaire « Qui veut la peau de Bernard Tapie ? » diffusé sur France 5 montre encore une fois la réalité plus stupéfiante que le polar le plus échevelé. Charismatique, charmeur autant qu'exaspérant, Tapie a été tour à tour manipulateur et manipulé tant par la gauche que par la droite, avec un cynisme total. L'utilisation de Tapie par François Mitterrand pour contrer Michel Rocard, puis par Nicolas Sarkozy pour être élu en 2012 moyennant ensuite le fameux arbitrage qui nous a coûté quelques 400 millions d'euros mettent en évidence un Tapie voyou mais aussi ministre, emprisonné pour dérapages financiers multiples, mais encensé par les fans de l'OM, comédien au théâtre mais aussi (surtout?) dans la vie. De quoi réaliser une série politico-financière qui paraîtrait invraisemblable si elle était présentée comme une fiction...
Chez ces gens là, Monsieur, on brasse en toute impunité des millions d'euros ou de dollars, on joue avec les peuples comme avec des pions d'échecs, et lorsqu'on échoue, on invoque une « crise » mythique, comme une fatalité, en exigeant que paient ceux qui n'y ont joué aucun rôle. Comme le dit le « Justicier d'Athènes » à la fn du livre : « L’État grec est la seule mafia qui a fait faillite, toutes les autres sont florissantes. »