Si Michel Houellebecq ne m’avait pas inspiré ce jeu de mots, j’aurais titré « le secret des couples qui durent »… et attiré ainsi une foultitude de personnes. De quoi s’agit-il ? D’une constatation faite à maintes reprises : des couples « Carpe » et « Lapin », qui ne se ressemblent en rien, n’ont quasiment pas d’intérêts communs et même de sérieuses oppositions, vivent ensemble depuis 10,20, 30 ans ou plus. Je ne parle pas de ceux qui, amoureux dans leur jeunesse, se sont peu à peu installés dans une confortable et tendre routine, mais de couples dont on se demande ce qu'ils font ensemble, et qui avouent parfois d’emblée : «Avant même de l’épouser, je savais qu’elle n’était pas faite pour moi », un peu comme Proust concluant dans « A la recherche du temps perdu » que l’Odette qu’il a tant aimée pendant des années « n’était pas du tout son genre. » Je pense à une femme disant à son mari, éloigné d’elle pendant des années pour raisons professionnelles « Qu’est-ce que j’étais heureuse quand tu partais ! » mais qui vit toujours avec lui aujourd’hui, et lui avec elle.
Plus souvent, c’est vrai, l’aveu que cette Carpe et ce Lapin n’auraient jamais dû s’unir si on reste dans la logique des inclinations amoureuses émane de l’homme. Serait-ce pour cela que les demandes de divorces viennent à 70% des femmes ? « Elles sont plus courageuses, affirme une copine. Quand un compagnon ne leur correspond pas, elles préfèrent rompre alors que les hommes sont prêts à tous les compromis pour garder leur confort conjugal. » Mooui… sauf que les compagnes des hommes dont je parle, les Carpes de ces Lapins là, restent aussi. Sans y être forcée, sans être dépendantes financièrement, juste par choix. Et, disent certaines, parce qu’elles s’ennuieraient avec un homme qui leur ressemble trop. Les extrêmes s’attirent puis se complètent, et ce serait plus stimulant, plus enrichissant que de contempler chaque jour son semblable au féminin…
Pour ma part, et ce n’est pas que pour justifier le titre, je me demande si la Carpe et le Lapin n'ont pas tout simplement résolu le problème du territoire dans le couple :
« C’est une vérité soigneusement cachée, on préfère parler d’amour et de partage,(mais) la grande escroquerie du couple c’est de ne pas révéler qu’en fusionnant, chacun s’est amputé d’une part de lui-même et n’aura de cesse de la retrouver au prix d’un affrontement quotidien avec l’autre, tout être humain n’a qu’une obsession : se sentir exister, l’ego est mille fois plus puissant que l’amour, ne s’en détachent vraiment que les saints ou Bouddha, mais pour y parvenir, la plupart ont vécu solitaires ! (« Ce qui trouble Lola », mon livre du Grand Tout bientôt introuvable, déjà épuisé en poche)
Par nature, la Carpe et le Lapin convoitent des territoires différents puisqu’ils ont des goûts quasi opposés, ce qui les conduits à ne pas vivre leur union comme un combat pour trouver leur place et exister en tant qu’individu (combien de femmes, combien d’hommes divorcent avec juste pour argument « je n’existais plus, je faisais partie des meubles » ou « j’avais besoin d’espace, de respirer… ») Carpe et Lapin ne sont pas « faits l’un pour l’autre », quel soulagement ! Cela leur laisse toute liberté d’aimer et de désirer l’autre et surtout de s’y intéresser, non par prédestination, mais par choix. Les voici libres d’exprimer leur ego sans réflexe de défense genre « arrête de t’enrouler dans la couette, j’ai froid », "raccroche, j'ai besoin de téléphoner" (ils ont deux lignes) donc sans agressivité. Finie la guerre territoriale, chacun vaque dans son son domaine et retrouve l’autre sur le territoire commun, qui n’est plus alors l’objet de luttes de pouvoir mais un lieu de connivences à partager . « Aimer c’est partager ce qu’on a envie de partager, et pour le reste, que chacun mène sa vie comme il l’entend. » dit Benoite Groult Cette féministe rigoureusement indépendante a vécu plus de 40 ans avec Paul Guimard et m’avait dit « avec les années c’est de mieux en mieux. » Elle aimait la pêche, lui non. Il aimait les manoeuvres à la voile, elle pas du tout. Ils se retrouvaient sur leur bateau, chacun dans son domaine de prédilection.