Le 7 avril, je prends le métro pour rejoindre la gare de Lyon : incident grave de voyageur interrompant momentanément le trafic. Ca veut dire suicide. Drôle d’idée de se jeter sous une rame de métro, car hormis ceux qui assistent, horrifiés, à la mort en direct, les autres voyageurs se contentent d’une oraison funèbre exaspérée : « Putain, fait chier, je vais être en retard ! » Gare de Lyon, foule immense des jours de grève, mais tout se passe bien. Les voyageurs font preuve d'une philosophie réjouissante.
Au retour, une semaine plus tard, même topo. Les trains sont complets, impossible d’acheter un billet, les bornes bloquent. Les voyageurs des TEOZ prennent d’assaut les voitures 3 et 13, celles des contrôleurs- qui ne contrôlent pas vu la cohue- où on peut s’asseoir sur un strapontin ou par terre. ( mes compagnons de voyage avaient des têtes plus sympathiques que les masques que je leur ai mis pour respecter leur anonymat...) Un militaire s’énerve : « Putain, la SNCF, ils foutent rien, ils bossent jamais, mon beau-frère connaît un contrôleur, il fait un trajet Paris/Lyon et ensuite il a deux jours de repos.
-C’est marrant, lui dis-je, quand ils font la grève, vous avez vu le bordel ? S’ils ne faisaient rien, on ne s’apercevrait pas quand ils s’arrêtent. »
L’argument le laisse sans voix. Je l’achève en lui disant que les cheminots ont une espérance de vie inférieure à celle des militaires (en temps de paix, bien sûr). La plus grande longévité, ce sont les militaires et les curés.
Tout à coup, le train s’arrête. Pour une heure. Un autre train est en panne à quelques kilomètres devant. Rien à voir avec la grève, problème de maintenance. A force de réduire les effectifs, on néglige l’entretien… Un passager s’énerve, le contrôleur aussi : « Ecoutez, je me suis levé à 6h, je ne suis pas gréviste, je bosse pour vous, je ne serai pas chez moi avant onze heures ou minuit, alors m’agressez pas en plus ! » La grève a d’autres motifs que la défense des zavantages-acquis, nous dit-il. C’est aussi pour protester contre le projet de la SNCF d’externaliser sa gestion informatique dans une boîte américaine. Donc de perdre le contrôle des millions de données clients emmagasinées. (qu’elle a déjà tendance à ne pas bien maîtriser, comme l’a expliqué un hacker récemment) Grève aussi contre le fait que le rail n’est plus la priorité : la SNCF est le plus gros transporteur routier de France. Le courrier Paris/Bordeaux est acheminé en camion et non en train, alors qu’il y a le TGV en 3h30 pour Bordeaux…. mais pas de wagon postal, des camions : consommation de carburants, encombrement sur les routes, accidents… On comprend mieux la misère du fret par train : ça n‘intéresse aucunement la ceuneusseufeu. Bonjour les engagements écologiques !
Après une heure, redémarrage. A force de bavasser sur le quai, militaires, syndicalistes, travailleurs du privé criant haro sur « les fonctionnaires » (bien que les cheminots n’en soient pas !) et moi, et moi, et moi… sommes devenus copains. On s’offre les strapontins vacants, on se propose des bonbons… J’apprends que la voix de la SNCF est celle d’une comédienne nommée Simone qui a enregistré toutes les phrases utiles, qu’un logiciel assemble pour fabriquer les messages ferroviaires : « Sur voie numéro 8, attention au départ » ! Le logiciel s’appelle Simone aussi. En voiture, Simone !
Arrivée à Paris. Je repars le lendemain. Par train. L’aller se passe bien. Le retour, moins. Le TGV s’arrête en pleine campagne. Après dix minutes d’attente, la voix de la SNCF nous informe que le TGV est arrêté en pleine campagne… juste quand il repart J. Dix minutes plus tard, il s’arrête à nouveau. Silence dans le wagon, interrompu par la même voix douce : « Nous informons les passagers que le TGV est arrêté en pleine voie ». Eclat de rire général. Il paraît que c’est un problème de caténaires. Arrivée à Montparnasse avec 50 minutes de retard, je me précipite pour attraper le train de banlieue de 21h28. Annoncé avec 10 minutes de retard ! Un autre train est en panne sur la même voie.
Je suis prise d’un fou-rire : quand je pense que Julien Coupat a été mis six mois en prison et suspecté de terrorisme pour un retard de 2 heures sur un TGV !!!!
Mais elle y arrive toute seule, la SNCF, à se saboter !!!
Et pendant ce temps là, le volcan Islandais bloquait tous les avions européens au sol. Y a dû avoir un sacré méchant karma sur les transports la semaine dernière.