C'est peut-être à cause de l'été, mais l'idée d'écrire un billetblog me fatigue, d'autant que je me demande si ça a une réelle utilité, hormis celle de soulager des lecteurs/trices qui trouvent dans ce que j'écris un écho à leur propre ressenti, ce qui est agréable, mais quid de l'après ? Quid de l'utilité réelle des mots pour changer le monde ? J'en publie depuis 1974 et force m'est de reconnaître qu'ils ont eu une efficacité plus que limitée.
« La vie au vertical modifie le comportement des gens. L'être humain, naturellement, se déplace horizontalement. Pour se déplacer verticalement, il doit avoir recours à des moyens mécaniques comme les ascenseurs. Sa relation avec les autres devient artificielle, il n'y a pas de rencontre... Les gens qui ont conçu les tours y ont tout placé : logements, parkings, centre de loisirs, commerces... Cet excès de possibilités apparaît à première vue comme un avantage, mais en réalité il est vécu comme une cessation des rapports humains. » (Dr Bensoussan, ITV réalisée par moi en 1977 pour ELLE)
A l'homme des villes nouvelles on crie « attention à la rue, attention aux voisins, attention aux excès, insécurité, insécurité » pour transformer ses souvenirs en pièges redoutables, arracher ses nostalgies à la racine et l'inciter à se réfugier dans un décor rassurant où des fontaines artificielles éclairées au néon projettent des gouttes de polystirène multicolores.
« A la Défense, aucun élève de maternelle ou de primaire n'aura à traverser de voie automobile » (Bulletin d'information EPAD n° 12). Apprenons leur aussi à nager sur un pliant, devant une photo de la mer, de peur des embruns, et reléguons l'aventure au rang des accessoires pour fanas de western. Vive l'air conditionné, les ascenseurs ultra-rapides, la sécurité sociale, les assurances tous risques, le changement dans la continuité, et pour finir madame, mademoiselle, monsieur, comme le prévoyait le génial Boris Vian, voici la cage tout confort pour élever les enfants sans danger.
Extrait de « Frapper les cieux d'alignement », écrit en 1978, il y a 35 ans. Je n'étais pas la seule à dénoncer les risques d'une urbanisation inhumaine et la dérive qui transforme le légitime besoin de sécurité en terrorisme sécuritaire, où chaque geste de la vie quotidienne est réglementé avec sanctions à l'appui, moyen le plus sûr d'infantiliser les personnes au lieu de les habituer à prévenir et assumer elles-mêmes les risques de la vie.
A quoi a servi ce livre, que j'avais envoyé à François Mitterrand lorsqu'il s'était ému de la violence dans les banlieues (déjà!) ? Il m'avait répondu en me proposant une entrevue que j'attends encore, et comment ont évolué les banlieues, désormais appelées « cités » ou « quartiers » ? Comme c'était prévu dans mon livre: vers la violence, attisée par la crise économique, dont on parlait déjà depuis 1973 (premier choc pétrolier)
Alors écrire pour dénoncer, informer... Parfois je me dis qu'Internet, et notamment Facebook, sont un gigantesque défouloir pour permettre aux gens de se dire qu'ils agissent en publiant une info ou en signant une pétition, alors que les responsables réels des dégâts ne sont en aucune façon inquiétés, un succédané affectif pour trouver du réconfort ou de l'admiration en collectionnant les "like".
Même questionnement pour les associations, dont j'admire le dévouement et l'action, évidemment... Mais je ne peux m'empêcher de me souvenir que Coluche avait créé les « Restos du cœur » en précisant qu'il s'agissait d'une action d'urgence qui devait disparaître dans les 5 ans à venir faute de quoi ce serait un échec, et ils sont toujours là, plus de 25 ans après, avec encore plus de pauvres qu'à leur création. Le WWF me demande des sous pour lutter contre le massacre des grands singes d'Afrique, mais qui massacrera les massacreurs ? Qui mettra en taule les exploiteurs et esclavagistes du monde moderne au lieu de quêter pour les défavorisés, comme on dit aujourd'hui ? Les actions humanitaires qui viennent en aide aux victimes d'exactions sont nécessaires à court terme, mais ne sont-elles pas aussi briseuses de la saine révolte qui nous permettrait d'aller casser la gueule (ou plus si nécessaire) aux responsables de ces exactions? Comme dirait Blutch avec sa sagesse suisse : « Franchement au lieu de se suicider à cause du chômage, il vaudrait mieux aller tuer le patron qui vous a licencié, ce serait plus efficace. »
Bref, la possibilité de s'indigner en chœur n'est-elle pas juste un tranquillisant, une manipulation, un agir-like gentiment concocté par les décideurs de ce monde pour canaliser nos révoltes et éviter toute action qui les mettrait vraiment en danger?