Lors d’une séance de dédicaces, une dame d’environ 80 ans voulut m’acheter « Autres désirs, autres hommes. » Compte-tenu de son âge, je lui précisai qu’il s’agissait de textes érotiques dont elle n’avait peut-être pas l’habitude. Elle chuchota à mon oreille : « Justement ! Je n’ai connu qu’un homme, mon mari, et je ne veux pas mourir idiote. » Je n’insistai pas. Après tout, la dame était largement majeure. Quelques semaines plus tard, elle m’interpella à l’entrée d’un cinéma : « Bonsoir petite coquine ! », m’agrippa par le bras et se tourna vers un ami : « Je te présente madame Simpère, elle écrit des horreurs pornographiques. –Il faudra me les faire lire », répliqua le monsieur. La dame se récria, arguant qu’il risquait d’en faire une attaque. Bizarre, bizarre… D’ordinaire, on trouve mes textes érotiques, certes, sans tabous sans doute, mais joyeux, pas vulgaires, et je me demandais ce que la dame appelait « horreurs pornographiques ». Elle me souffla alors à l’oreille une description de fellation effectivement assez trash… si ce n’est que jamais je n’en ai écrit de telle dans mes livres !.
Même mésaventure avec un lecteur qui m’attribuait des pages scatologiques fort peu ragoûtantes… mais tout aussi imaginaires. Tous deux, dont le point commun était leur expérience sexuelle réduite, avaient fantasmé des scènes sordides et culpabilisantes, comme si, pour s’absoudre du péché de lecture érotique, il leur fallait se salir et éprouver honte et dégoût. D’ailleurs, les textes écrits sur le Net par des amateurs décrivent souvent des maris ravis de faire prendre leur femme par une horde de mâles affamés, jusqu’à ce que la malheureuse, copieusement traitée de « grosse salope » tandis que les hommes se répandent sur elle, s’écroule de fatigue sans avoir eu son mot à dire, avec une capacité à enchaîner des orgasmes d’autant plus puissants, semble-t-il, qu’on la traite comme une serpillière. Relents de machisme, relents de pouvoir…
Que dans un monde soi-disant libéré, le sexe demeure sulfureux et plus ou moins cradingue, ou qu’on l’exonère de tout mystère, de tout affectif, en payant pour une relation sexuelle réduite à une prestation de service, n’est pas un hasard. Le désir est un des plus puissants leviers de la liberté ou de l’aliénation selon qu’il est libre ou contraint. C’est sans doute pourquoi tous les gouvernants et toutes les religions limitent la liberté amoureuse des citoyens en édictant des interdits (variables d’une religion à l’autre, d’un Etat à l’autre) tout en laissant se développer le sexe marchand. Ils savent que la frustration engendre l’aliénation, tandis que des êtres libres dans leurs têtes et leurs corps deviendraient rapidement ingouvernables.