Dans la pléthore de magazines féminins, Causette fait figure d’OVNI : aucune pub de cosmétique, pas de pages modes, de « spécial minceur » ni de courrier du cœur. Or il plaît de plus en plus aux femmes, grâce à qui ce magazine bimestriel est devenu mensuel. « Plus féminine du cerveau que du capiton », c’est le slogan de ce magazine dit « féminin » que plein de garçons devraient lire pour devenir (encore) plus intelligents. Le numéro de février est particulièrement réjouissant. On y trouve de la politique (« Qui mettra la finance au pas ? ») pas ennuyeuse et bien écrite, de la culture pas forcément consensuelle (Stanislas Merhar, Marcel et son orchestre, Botul…) des reportages originaux (luxure en salle de garde) et la fameuse rubrique « On nous prend pour des quiches » qui recense quelques merveilleuses stupidités du machisme ordinaire.
Ce mois-ci, ce n’est pas une quiche, mais 24 que raconte Causette, puisqu’il est demandé de voter pour « la Quiche d’Or » précédemment remportée par « Nadine Morano (2010) et « le dico des filles »(2011). Vote ultra difficile tant les quiches sont savoureuses. Pour ma part, je ne retiendrai pas « le bilan de Sarkozy », bien qu’y soit rappelées pas moins de 15 promesses non tenues du Président, car la quiche, on la lui servira au printemps. En revanche, j’hésite entre la quiche 4 : Crème anti-rides Geogirl pour les 8/12 ans ( il n’est jamais trop tôt pour fabriquer des névrosées), et la quiche 15 : serviette hygiénique parfumée au thym (qui permet de savoureux quiproquos « ca sent bon maman, t’as fait une pizza ? – Non, mon chéri, j’ai mes ragnagnas. ») Incroyable l’imagination des pubeux pour faire croire aux femmes qu’elles sont moches et grosses, sentent mauvais et suintent de partout…
Autre plaisir du week-end dernier, le documentaire: «Les Nouveaux chiens de garde », On y voit Alain Minc affirmer en février 2008 qu’on doit s’extasier devant l’extraordinaire plasticité du capitalisme sans lequel nous serions face à une crise grave, puis le même conclure en avril/mai que la crise est passée (DSK aussi : « la crise est derrière nous » disait le meilleur économiste de France) puis, en octobre 2008, chercher des pansements à cette foutue crise.
Tous les économistes sont-ils des charlatans ? Non, pas tous, un bon nombre alerte depuis des années sur l’argent fou et la fin d’un système gangrené jusqu’à la moelle par la corruption et la finance spéculative. Mais ceux-là, on ne les écoute pas. Les experts de la télé, qui sont là pour modeler 80% de l’opinion publique, les Minc, Godet, Cohen, tous présentés comme d’éminents universitaires- ce qu’ils sont- mais en omettant de préciser les liens étroits qu’ils entretiennent avec les entreprises du CAC40 et les politiciens, ces experts qui se sont trompés avec une obstination touchante s’obstinent dans l’erreur et continuent de marteler : « Trop d’Etat, manque de flexibilité, assistanat.. » avec une subtile sémantique qui transforme les cotisations sociales- outil de redistribution de la richesse produite- en « charges sociales » pesant sur les malheureux patrons.
« Alléger les charges patronales pour favoriser la compétitivité et l’emploi : 20 ans qu’on nous le serine, 20 ans que ça ne crée aucun emploi ni empêche les entreprises de délocaliser vu qu’ailleurs, là où des gamins nettoient les cuves des pétroliers en s’empoisonnant le sang et où des fillettes cousent 15h par jour pour 15 € par mois environ, les profits sont toujours plus gras et que le profit, c’est la raison d’être du capitalisme.
20 ans que les mêmes « experts » serinent la même antienne à la gloire du capitalisme avec une conviction que rien n’entame, ni la crise, ni les faillites des banques, ni la dégringolade des Bourses.
Depuis des décennies- marrant de les voir débuter tout jeunes et peu à peu se dégarnir, prendre du bide et des paupières flasques, mais ne pas changer d’un iota leur laïus ultralibéral, depuis des décennies donc, Michel Godet , par exemple, ne cesse de répéter que les français ne travaillent pas assez et ne sont pas assez compétitifs, au mépris des statistiques du BIT qui montrent que la France est un des pays à plus forte productivité et compétence de ses salariés. D’anciens virulents gauchistes comme Michel Field, qui prônait « la lutte armée contre le capitalisme », rentrent dans le rang pour le plaisir sans doute de faire partie du club très sélect du « Siècle », qui, une fois par mois, réunit journalistes, politiciens et hommes d’affaires à l’Automobile Club, place de la Concorde. L’important n’est pas d’être politicien, industriel ou journaliste, c’est d’être du même monde…
Quiconque s’intéresse à l’actualité depuis longtemps reconnaîtra bien des choses vues et entendues, mais « Les nouveaux chiens de garde » synthétisent et mettent en évidence le martelage de l’opinion publique et la façon dont toute autre parole est éludée ou discréditée.
En définitive, les Français qui continuent à contester les mesures libérales et à clamer qu’ « un autre monde est possible » - ceux qu’on présente comme des râleurs ou des « décroissants »- montrent une belle liberté d’esprit face au matraquage dont ils sont quotidiennement l’objet.