«Je trouve ce gouvernement plutôt nul » lance tout de go une amie avec laquelle je n'ai jamais eu de conversation politique jusqu'ici. Ravie, je renchéris (ou plussoie comme on dit aujourd'hui) et m'apprête à développer un argumentaire, quand elle me devance et détaille ses griefs : en France on n'aime pas les riches, on les accable de charges, ils vont s'exiler à l'étranger et alors qui créera des emplois ? Les jeunes diplômés fuient ce pays où on préfère les assistés aux battants, etc... Bref, nous ne sommes pas du même bord et j'élude rapidement la conversation.
Nous vivons décidément une époque étonnante où des personnes de gauche comme de droite arrivent à la même conclusion à l'égard du gouvernement ! Même au-delà du gouvernement, le modèle libéral-financier devient un scandale si
criant que des livres sur la finance, la dette, la fraude et l'évasion fiscales sont écrits aussi bien par des économistes de gauche que de droite, et qu'on voit se côtoyer « La violence des riches » du couple Pinçon-Charlot qualifiés de « marxistes » par les droitistes aussi bien que « Les voleurs de la République » de Nicolas Dupont-Aignan, qui, il est vrai, associe à ses idées de droite une droiture proche de l'honnêteté reconnue à de Gaulle, à laquelle Dupont-Aignan se réfère. Ce livre résulte de l'enquête parlementaire sur l'évasion fiscale qu'il a menée avec Alain Bocquet, député communiste, qui préface le livre.
Devant cette unanimité face à une situation inacceptable- quelles que soient les raisons pour laquelle on la trouve inacceptable- comme il doit se sentir isolé, le malheureux adhérent ou sympathisant du parti PS (Pseudo Socialiste), qu'il doit se faire tout petit dans les dîners en ville où il est la cible des reproches et des quolibets, que le dîner ait lieu à Auteuil/Neuilly/Passy ou dans les quartiers les plus défavorisés. Qu'il doit redouter le réveillon du Nouvel An où après quelques verres il se trouvera toujours un dirigeant de société, un syndicaliste en lutte ou un intermittent du spectacle en fin de droits pour lui fondre dessus telle la vérole sur le bas-clergé.
C'est à l'intention de ce malheureux que Bruno Gaccio a écrit son « Petit manuel de survie à l'usage d'un socialiste dans un dîner avec des gens de gauche» en une dizaine de chapitres. D'un auteur des « Guignols » on peut s'attendre à un humour décalé, une dérision frisant juste ce qu'il faut la mauvaise foi, et du style. "Je ne peux pas être socialiste, dit-il, je suis de gauche". C'est enlevé, cruel, drôle mais pas que ça. Car au-delà du gag résumé par le titre, ce livre se livre mine de rien à une analyse de la situation économique et politique qui rappelle à tous, pas seulement aux électeurs du PS, quelques vérités bonnes à dire. Exactement comme le font les marionnettes des Guignols quand elles sont inspirées : de l'éducation civique sans peine. Belle idée de cadeau à offrir sous le gui en se souhaitant malgré tout une bonne année.
Le seul risque de ce livre est que son humour décalé soit pris au premier degré, exactement comme certains racistes venaient jadis voir Guy Bedos pour le féliciter de son sketch « Vacances à Marrakech » en ces termes « Qu'est-ce que vous leur mettez, aux bougnoules ! ». Guy Bedos a fait ses adieux (définitifs?) à la scène lundi 23 décembre, avant de devenir grotesque comme certains vieux rockers qui s'obstinent. Vous nous manquerez Guy, je me souviens vous avoir embrassé le 10 mai 1981, il y a trois siècles, et ne me dites pas que la relève est assurée, votre fils Nicolas ne vous arrive pas à la cheville, les siennes sont trop enflées pour que son humour reste léger.
Je ne peux résister à la perversion de vous faire réécouter ce chef-d'oeuvre...
BONNE ANNÉE À TOUTES ET TOUS!