Un bel après-midi d’août, rue de la Montagne Ste Geneviève, il faisait un temps idéal, chaud mais pas caniculaire, une brise douce. A la devanture d’une boutique, une pancarte saugrenue m’a fait éclater de rire. Instant de pur bonheur solitaire. Tout à coup, entre la pancarte et moi, j’ai eu la vision de cette pancarte photographiée sur ma page Facebook accompagnée de la mention « Françoise Simpère a partagé une photo »… Je n’y avais pas même pensé, je n’ai pas le réflexe photo, beaucoup des instants que je vis restent en moi, ou à la rigueur sur un carnet de notes personnel. Parce que beaucoup de ce que l’on vit reste impartageable. Même si on le raconte, on n’exprime que 60% de ce qu’on voudrait exprimer, et l’autre ne saisit que 60% de ce qui est dit, soit 36% de vrai partage, c’est peu… Et puis, pourquoi vouloir tout dire et tout montrer à tout le monde, « poster » la vidéo de sa gamine ânonnant une chanson pour que 19 millions de personnes la visionnent, comme je l’ai entendu dans un reportage ? Cela rappelle ce personnage de Wolinski exhibant fièrement à son modeste voisin : « ma maison, ma voiture, ma piscine, ma femme… » et l’autre se retournant : « Mon cul ! »
Je crois que c’est ce jour là que j’ai décidé de délaisser Facebook. Car si l’association « joli moment »/ Facebook s’était faite aussi aisément, c’est bien parce que chaque jour en ouvrant ma page, je voyais des personnes partager sur le mur des bouts de leur vie, de la vie du monde, de la vie des autres, de leurs lectures, des films vus, surabondance de faits importants ou insignifiants si confondus au mépris de toute hiérarchie dans l’intérêt ou l’émotion, que j’ai sursauté le jour où j’ai appris sur ce mur le décès d’un ami- un vrai, pas un simple « ami FB »- au milieu de vidéos rigolotes, d’appels à signer une pétition et de nouvelles du régime suivie par une internaute dont chaque gramme perdu faisait l’objet d’un post. A niveler ainsi, on perd la notion de ce qui compte ou pas, le narcissime des uns faisant part égale avec la générosité des autres, un événement aux lourdes conséquences ne tenant pas plus de place qu’une blague « lol ».
Il y a de toutes façons des instants de vie impossible à partager, même avec des amis intimes. A fortiori avec des « amis FB » dont pour dix réellement connus- et fréquentés ailleurs, par mail, blog ou rencontres réelles- 40 restent à l’état de contacts virtuels. Il est des moments si forts qu’on a envie de les préserver. Préserver l’indicible, comme un trésor au fond de soi. Qui émergera peut-être un jour, furtivement, dans une page de livre, reconstruit à travers l’écriture… Ou qui restera à jamais secret. Chaque être en mourant emporte avec lui une part de soi que personne ne connaît, pas même lui parfois. Ce qui n’est pas grave. Un peu d’inconnu et de mystère reste plus désirable qu’une relation permanente de ses moindres faits, gestes et états d’âme à des milliers d’inconnus.
Je ne dois pas être la seule à l’avoir constaté puisque, paraît-il, de plus en plus d’internautes délaissent FB et autres réseaux sociaux en en dénonçant « l’ennui » et « le manque d’intérêt ». J’y ai gagné- est-ce un hasard ?- du temps, du calme et une sérénité bien plaisante. Ce mois d’août fut décidément délicieux. Tous ne l’ont pas été. Qu’est-ce qui l’a rendu plus délicieux que d’autres ? Difficile à dire, on ne sait pas toujours pourquoi on est heureux. Ni malheureux d’ailleurs. Faut-il absolument une raison ? En voici une, glanée hier : entendre et voir jouer un pianiste de rue doté d’une telle fougue, d’un tel amour de sa musique- il compose presque tout ce qu’il joue- que les passants s’arrêtaient, visages illuminés… La musique est un cri qui vient parfois de l’extérieur ( J ) mais touche l’intérieur. Rien de plus à dire, il fallait y être. Il s’appelle SteveVilla –Massone et je ne suis visiblement pas la seule à avoir été touchée par sa grâce, vu le nombre de vidéos d’amateurs trouvées sur Internet. J’ai préféré lui acheter son CD.