Comme dit souvent mon petit frère (excuse, JM, jusqu’à la fin des temps tu seras mon petit frère de 1m85) nous sommes de purs produits de la colonisation, et heureux d’exister. Or il est vrai que si Saigon et Pondichéry n’avaient pas été des colonies, jamais le métèque indo vietnamien qu’était notre père n’aurait été envoyé en France faire ses études, et jamais, donc, il n’aurait rencontré en France une adolescente Vichyssoise qui n’avait pratiquement jamais franchi de frontières avant de le connaître. Donc, ça n’a pas eu que du mauvais, la colonisation, d’autant plus qu’être sang-mêlé et vivre sur des continents très différents montre la relativité de chaque culture : « Vérité en deça des Pyrénées, erreur au-delà ».
Enfants, ne nous effleurait pas une seule seconde l’idée que nous étions supérieurs parce que nous étions blancs, en témoigne cette réflexion d’un petit garçon de l’école de Ziguinchor (Sénégal) : « Maman, je me suis fait un nouveau copain ! –Un blanc ou un noir ? –Euh… j’ai pas regardé. » Ce n’est pas qu’on ne voyait pas la couleur de la peau, évidemment, c’est qu’elle nous importait peu. En 12ème (CP), il y avait dans ma classe une trentaine d’africaines pour deux blanches, et encore j’étais un peu jaune. On jouait toutes ensemble sans se poser la moindre question, et si j’avais remarqué que j’étais parfois « la chouchoute », je pensais que mon jeune âge en était la raison- j’avais 5 ans et demi, certaines dans la classe avaient 14 ans et étaient déjà mères- et pas du tout ma couleur de peau. En revanche, j’en suis encore choquée, je ne supportais pas de voir les « bonnes soeurs» attraper par les cheveux deux élèves qui chahutaient et cogner leurs crânes l’un contre l’autre en disant : « Ca donne creux là-dedans, y a pas de cervelle », ou frapper une élève parce qu’elle avait enlevé ses chaussures en récré, vu qu’elle courait beaucoup plus aisément pieds-nus. J’avais été horrifiée de cette punition, et tendais la main comme les autres pour recevoir un coup de bâton en cas de punition collective.
Je me souviens de mes équipées avec mon frère aîné dans les cases où les mères africaines cuisinaient des sauces écarlates qu’elles nous faisaient goûter, des dîners où mon père invitait son greffier africain et était pour cela regardé bizarrement par certains colons racistes qui pensaient plus malin de ne pas se mélanger. Je me souviens de notre boy, André, à qui j’avais décidé d’apprendre à lire, car lorsque je lui envoyais des mots pour qu’il ne dise pas à maman que j’avais fait une bêtise, il les lui portait illico, ne sachant pas les déchiffrer. Je me souviens de ses pleurs quand nous sommes repartis en France, et de nos pleurs car nous avions envie qu’il vienne avec nous. Je me souviens de maman expliquant à un quémandeur de nourriture une nuit de ramadan qu’elle n’avait que du jambon et ne pouvait le lui donner parce que c’était du porc. « Non, c’est du veau » affirma le quémandeur affamé. –C’est du porc. – Non, c’est du veau ! » Devant cette insistance, maman lui avait donné une tranche de jambon en pensant qu’il n’y a que la foi qui sauve et que ventre affamé n’a pas d’oreilles.
Bref, c’était simple de vivre ensemble, et pourtant nous n’étions pas « politiquement correct » avec la peur permanente de commettre un impair. Le « politiquement correct » qui aboutit à dire « personne à mobilité réduite » pour handicapés moteurs, « minorités visibles » pour peaux noires ou basanées, « non-comprenants » pour cons est une horreur. On n’est pas raciste quand on est capable de se moquer d’autrui quelle que soit la couleur de sa peau, tout simplement parce que se moquer, c’est le considérer comme un égal. Ne pas oser rire avec lui, c’est se sentir coupable d’un racisme qui n’ose se dire…
Quand ma mère s’exclamait dans un village d’Afrique non éclairé « il fait noir comme dans le derrière d’un nègre », tous les noirs alentours éclataient de rire. Eux-mêmes ne manquaient jamais de nous dire : « Nous, les noirs, on sent l’homme, vous les blancs vous sentez le cadavre ». Au lieu de se dissimuler derrière un racisme honteux niant les différences physiques, nous en faisions un sujet de plaisanterie. Un chef de village s’était gentiment moqué de maman, qui dégraissait les morceaux du méchoui avant de les manger : « Ah vous, les blancs, vous avez peur du gras ! »
Face au débat actuel des gens qui se demandent si les races existent ou non, je reste bouche bée, car se poser cette question sous-entend que si races il y a , elles hiérarchisent les humains et que face à ce danger, il faut nier la notion de races. Un peu comme les féministes qui nient toute différence biologique et hormonale entre hommes et femmes au nom de l’égalité. Eh bien non ! Egalité, oui, identité, non ! Le terme d’identité nationale a vraiment des relents nauséabonds. Arrêtons de parler de « communauté juive », « communauté maghrébine » « communauté asiatique », arrêtons de définir les gens par leur origine ou leur religion, arrêtons de nier que nous sommes différents et battons-nous pour faire reconnaître que ces différences nous enrichissent et que nous sommes tous EGAUX.