Après le sang contaminé, l’hormone de croissance, le vaccin contre la grippe H1N1, les morts dus à l’Isoméride (autre coupe-faim Serbier) ou au Vioxx (antalgique et anti-inflammatoire de Merck ), comment les journalistes peuvent-ils s’étonner de « l’affaire du Mediator » et sembler découvrir les liens entre politiques et laboratoires ? Il y a plus de 40 ans que Jacques Servier, honoré aussi bien sous François Mitterrand que sous Jacques Chirac ou NS est proche de la presse et du pouvoir. A mes débuts, je me souviens d’ailleurs d’un magazine lui appartenant, dont le rédacteur en chef était Bernard Kouchner, alors militant altermondialiste.
J’ai déjà raconté comment j’ai quitté le journalisme médical, lassée de voir créer de fausses maladies… mais de vrais marchés. Dans les années 70, le taux de cholestérol nécessitant une prise en charge médicale était fixé à + de 2,80g par litre de sang. Aujourd’hui, on vous traite dès 2,30g. Baisser les normes permet de traiter des milliers de personnes à qui on aurait autrefois prescrit un régime. Dans la même veine, vous considérer comme souffrant de « dysfonctionnement de la libido » si une fois au moins dans le mois, vous ressentez une baisse de désir, et de « dépressif ponctuel » en cas de baisse de moral fait de vous un malade qu’il faut soigner !
Cependant, les labos et les politiques ne sont pas seuls responsables. Les patients aussi. Qui préfèrent fumer, boire et manger trop malgré leur diabète ou leur cholestérol, et prendre des médicaments. Combien de femmes réclament des coupe-faim (comme le Médiator) pour perdre des kilos, parce que ça va plus vite qu’un régime ? Combien de parents demandent de la Ritaline pour calmer un rejeton soi-disant hyperactif alors qu’il n’est que turbulent ? Combien prennent des « alicaments » vantés par la publicité pou améliorer leur transit, stimuler leur défenses, être au top… reflet de l’exigence de compétitivité qui interdit d’avoir tranquillement mal au ventre et de rester au chaud en attendant que ça se passe. La grippe 2010/2011 semble moins agressive et meurtrière que les grippes des années précédentes, malgré une couverture vaccinale faible, liée à la méfiance des gens pour le vaccin, depuis la grotesque campagne H1N1. Cela rappellera peut-être qu’hormis pour les plus fragiles, la grippe est une maladie qu’un organisme adulte est parfaitement capable de surmonter seul en une semaine environ. Nous avons un système immunitaire qu’il faut stimuler pour qu’il reste efficace. « Ce qui ne tue pas rend plus fort ».
Cependant, le fondement de toutes ces dérives reste le même : alors que la bonne santé et la bonne humeur comptent pour zéro dans le PIB, la maladie, la mort et le mal-être sont de l’activité économique qui font monter la croissance. Le cancérologue qui a ironisé un jour lorsqu’on lui demandait pourquoi, malgré des décennies de recherche on guérissait si peu de cancers : « Pourquoi ? Parce que le cancer fait vivre plus de gens qu’il n’en tue » ne croyait pas si bien dire. Outre les laboratoires, les hôpitaux, les soignants et les Pompes Funèbres, les cancers sont la résultante d’une économie riche en pesticides et autres polluants, en radiations, poussières de bois et autres résidus industriels, à l’agro-alimentaire, ses graisses hydrogénées, ses additifs et ses emballages en plastiques douteux, au tabac, à l’alcool… Les cancers, appelés « maladie de civilisation » sont effectivement le reflet d’une civilisation du mal-être dont il ne faut pas s’étonner que les marchés les plus florissants : les armes, les drogues (y compris les médicaments psychotropes) et la prostitution soient aussi des industries du mal-être.