Il fut un temps où on ne parlait plus de la mort ni des morts, sauf à la famille et aux proches du disparu. Ce qui aboutissait à des situations parfois cocasses, comme lorsqu'un voisin demanda à notre mère des nouvelles de son mari, mort plus de deux ans auparavant. La question la surprit tellement- elle pensait que tous les habitants de la ville lisaient les avis de décès dans le journal local-qu'elle eut un fou-rire qui déconcerta terriblement son interlocuteur lorsqu'elle lui apprit le décès.
Puis, il y a une vingtaine d'années, la Faucheuse a réapparu avec l'expression consacrée: "Untel" "Unetelle" nous a quittés. C'était déjà assez flou, surtout dans des décennies où divorces et séparations étaient nombreuses, il pouvait y avoir confusion...
Mais la confusion est massive aujourd'hui où sur les réseaux sociaux sont annoncées les morts de personnalités diverses, de ses parents, grands-parents, cousins et cousines, ami.es, de son chien, son chat et parfois même de poissons rouges en ces termes: " Untel, Unetelle, Rex ou Câline" est partie.
Si une amie me dit en sanglotant: "C'est terrible, Alexandre mon amoureux est parti", je ne sais s'il faut lui répondre "Ah le salaud, mais ne t'en fais pas un de perdu, dix de retrouvés!", ou "Sincères condoléances, je suis tellement désolée."
Il n'y a que pour les guerres et les cataclysmes qu'on parle encore de morts, en les comptant par dizaines, centaines ou milliers. Morts anonymes, donc, qui seront gommés au prochain chiffrage, au prochain naufrage. Car si l'on disait "trente migrants sont partis aujourd'hui en Méditerranée" certains hurleraient à l'invasion migratoire, et si l'on parlait de départ pour les morts en Israël et Palestine, cela prêterait carrément à confusion.
Bref, osons dire ou écrire "mort" comme on commence à oser dire "cancer" au lieu de "longue maladie". Ne pas nommer les choses ne les rend pas moins difficiles, les nommer pas plus difficiles.
(joli crobard d'Andiamo)