Parfois les rediffusions de l'été ont du bon, comme celle- sur LCP- du documentaire en deux parties de Patrice Benquet « Françafrique » précédemment diffusé sur France 2.
C'est du réel, mais ça a tout du polar politique. On y rencontre des services secrets officiels (DGSE, SDECE), certains plus confidentiels (à l'Elysée) et d'autres à la fois plus secrets et plus confidentiels au sein de la société ELF, grande manitou pendant des années de la politique française en Afrique pour cause de gisements pétroliers au Gabon et au Niger.
L'obsession du pétrole a commencé avec de Gaulle qui voulait que la France soit une grande puissance énergétique. Qu'il faille, pour cela, soutenir des dictateurs, financer les campagnes électorales des politiciens africains pourvu qu'ils soient soumis à la France, provoquer des guerres civiles qualifiées « d'ethniques » en appelant le bon peuple français à envoyer des sous pour les milliers d'enfants orphelins et/ou affamés que génèrent ces guettes peu importait : il fallait du pétrole !
Dans cette Françafrique des années 60 à 2000 s'affairaient des barbouzes (le fameux Bob Dénard), des mercenaires, des ministres de gauche comme de droite, des industriels, des financiers et les fameux « réseaux Foccart » du nom du responsable des affaires africaines sous de Gaulle... toujours vivant sous Sarkozy. La France joue pleinement la carte de la Françafrique du fait de son passé colonial mais aussi parce qu'elle a été adoubée par les puissances occidentales comme « gendarme de l'Af
rique », avec pour mission de barrer la route au communisme. ( avec le recul, c'est extraordinaire le nombre de guerres, massacres, assassinats et coups d’État qui ont été perpétrés dans le seul but de « faire barrage au communisme »)
La première partie du documentaire « la raison d’État » couvre les années 60 à 89. Les protagonistes de l'époque encore vivants sont vieux et ne risquent plus rien à raconter les espionnages, les coups d’État téléguidés, les financements occultes. Il en résulte des phrases cocasses. « Ce chef d'Etat africain était au départ communiste, mais il est redevenu tout à fait normal », Ou bien cette secrétaire de l'Elysée racontant qu'elle transportait des mallettes pleines de billets destinés à des opérations secrètes en Afrique : « Je ne voulais pas prendre le métro avec tout cet argent, alors je cherchais un taxi et comme d'habitude je n'en trouvais pas ! » Ou encore Loïch Le Floch- Prigent, nommé par F. Mitterrand à la tête de ELF et expliquant placidement que la gauche au pouvoir n'avait nullement mis fin aux réseaux douteux de la Françafrique : « La seule différence, c'est que l'argent que nous versions autrefois à la droite, il fallait à présent le partager entre la gauche et la droite ».
La deuxième partie commence avec la chute du mur de Berlin. Effet domino : plus de péril communiste, donc plus besoin du gendarme de l'Afrique, donc appétits des autres pays – USA, Chine, Russes- pour les richesses pétrolières et minières du continent noir, au détriment de la France qui fait tout pour garder son pré carré, et notamment ses relations avec le Niger, eldorado de l'uranium. Sauf que les pays africains, à partir de 1990, comprennent qu'ils peuvent faire jouer la concurrence... Deuxième événement majeur : l'affaire ELF, qui révèle le rôle joué par cette entreprise nationale dans moult opérations troubles. Eva Joly n'en revient pas. Ce n'est pas un perdreau de l'année, mais ce qu'elle découvre la laisse pantoise et effraie tant le landernau économico-politique qu'elle-même et sa collègue Laurence Vichnievsky doivent être protégées par des gardes du corps, après avoir reçu des menaces précises et physiques. L'absorption du géant ELF par la petite TOTAL n'a eu pour objectif que d'éliminer la trop compromise société des lubrifiants français...
Aujourd'hui, les affaires continuent... pour le pétrole et surtout l'uranium du Niger. D'où l’escroquerie qui consiste à affirmer que le nucléaire est garant de l'indépendance énergétique de la France. Quelle indépendance quand on dépend entièrement d'une ressource minière étrangère. Et à quel prix ? Celui des otages, notamment ceux qui travaillaient chez AREVA, et celui des tractations secrètes qui n'ont aucune raison d'être moins tordues que celles des décennies précédentes. Derrière chaque guerre dans un pays d'Afrique, regardons ce que recèle sons sous-sol et quelle est sa position stratégique. Au Mali et en Egypte aujourd'hui, comme en Côte d'Ivoire il y a neuf ans, on saura sans doute les vrais dessous des conflits après vingt ans de poudre aux yeux et des milliers de morts.
Ben voilà, j'ai réécrit un billet... grâce à vos commentaires qui m'y ont encouragé, et aussi parce qu'en écoutant les protagonistes de ce documentaire, je me suis dit : ils n'ont aucun état d'âme, c'est effrayant... Ne plus parler, ce serait leur laisser la parole, et le triomphe du cynisme.
visible au musée de la Françafrique.