La mer Egée déploie le grand jeu de ses outremers profonds sur la roche blanche, les maisons brillent sous le soleil de septembre. Temps magnifique, eau à 26°. Il n’y a quasiment pas eu de vent en août. Je rencontre à Milos une journaliste française, qui s’est installée en Grèce il y a 6 ans, séduite par le mode de vie « simple et chaleureux » qui attire des millions de touristes chaque année.
« Tous les articles que me demandent les magazines français sont ciblés sur cette qualité de vie, preuve que c’est vendeur… » Pourtant, cet été, l’atmosphère a subtilement changé… Les restaurateurs sont plus nerveux, les prix ont grimpé et dans l’air qui embaume l’hélichryse italienne et la feuille de figuier flotte une inquiétude perceptible.
« Vois-tu, Françoise, dit Yannis, les medias européens se sont déchaînés sur les Grecs qui ont présenté de « faux bilans » pour entrer dans la zone euro. C’est vrai qu’il y a eu des chiffres erronés et des financiers corrompus, pas tous Grecs loin de là, vrai que notre économie est faussée par l’économie parallèle, les activités annexes non déclarées… qui permettent malgré tout aux Grecs de vivre.
On nous traite de paresseux, alors qu’on a le record du temps de travail. ( 44,1h par semaine, contre 41,7 pour l’Allemagne, 41h pour les français, 40,8h pour les Pays-Bas. Source http://www.touteleurope.eu/) On ne cesse de lire dans la presse que le gouvernement Grec dépense trop, gaspille les subventions européennes et doit faire des économies.
Il y a sûrement des efforts à faire pour ne pas gaspiller un seul euro, mais il faut aussi voir notre situation très particulière.
Yannis tend le bras vers l’horizon : le paysage : la mer, les îles partout, montagneuses et arides : « Il n’y a rien de commun entre gérer un pays comme la France : 550 000 km2 en un seul morceau et 63 millions d’habitants, et la Grèce : 11 millions d’habitants dont plus de 3 millions à Athènes et sa banlieue, et plusieurs centaines d'îles dont environ 250 sont habitées ! Notre constitution garantit à chaque citoyen grec des droits élémentaires : la santé, l’éducation, les transports. Ca veut dire des ferries pour desservir toutes les îles habitées, y compris l’hiver quand il y a si peu de voyageurs qu’effectivement le transport coûte très cher, mais va-t-on laisser les insulaires coupés du monde ? Ils le sont déjà quand il y a une tempête… A Kimolos, près de Milos, il y a trois professeurs pour moins de dix collégiens. « Pas rentable, hurlent les technocrates, il faut qu’ils habitent ailleurs, à Milos ou Athènes. C’est ainsi qu’Athènes, ville prévue pour 250 000 habitants en compte aujourd’hui 3,7 millions (agglomération comprise) avec tous les problèmes de pollution, d’embouteillages et de violences qu’engendre la surpopulation. »
« Vois-tu Françoise, poursuit Yannis, cette rationalisation à court terme- il faut supprimer ce qui n’est pas rentable- est une hérésie au long cours. Si on vide Kimolos et d’autres îles de leurs habitants, qui va entretenir ces lieux qualifiés de paradisiaques par les touristes ? Ils restent paradisiaques parce que nous, les habitants, sommes là pour les entretenir en hiver.
Tu ne connais pas l’hiver à Milos : beaucoup d’habitants partent à Athènes, notamment les vieux parce qu’en cas de pépins de santé ils veulent avoir un hôpital proche. Les tavernes sont fermées, les magasins mal approvisionnés : à quoi bon remplir ses rayons pour quelques centaines d’habitants ? Sans compter les jours où le ferry ne passe pas… Tu adores ce village, mais en hiver essaie de venir y boire un café : tout est fermé !
Heureusement qu’on a fait des provisions pour l’hiver et qu’on a une grande vie intérieure,
heureusement qu’on maintient en Grèce les liens de famille et de voisinage, heureusement qu’on a le goût d’une vie simple, celle là même dont on dit qu’elle est la clé de l’avenir. (= la sobriété heureuse), sinon on ne supporterait pas de rester ici l’hiver. J’ai des amis allemands qui avaient décidé de passer Noël ici.
Ils ont eu froid, ils s’ennuyaient, ils ne supportaient pas l’inconfort, ils sont repartis par le premier ferry! Mais au printemps, grâce aux habitants, les maisons sont reblanchies, les sentiers défrichés, les routes nettoyées… On repeint les tavernes, on prépare le matériel de plongée et les bateaux pour les touristes… et c’est ainsi que des millions de vacanciers viennent se ressourcer, comme ils disent, chez nous, et rapportent des millions d’euros à la Grèce.
Alors tu vois, Françoise, la logique de rentabilité immédiate voudrait qu’on ferme les écoles où il y a peu d’élèves, mais la rentabilité à long terme, c’est au contraire de préserver ce patrimoine magnifique qui rapporte tant d’argent à notre pays.
« Je sais, Yannis, on a eu le même problème avec l’exode rural en France. Faute de paysans dans les campagnes, il y a des friches, les bois ne sont pas entretenus, certains villages tombent en ruines… Après des incendies dans le sud, je ne sais plus quel ministre avait proposé la création d’un corps de « jardiniers d’Etat » pour entretenir les friches et prévenir les feux. Les paysans faisaient cela très bien… Mais pour en revenir à l’Europe, je n’avais pas voté pour le traité de Maastricht, j’avais mis un bulletin nul où j’avais écrit « oui à l’Europe, non à Maastricht ». Parce que ce traité ne parlait que de finances et d’économie, pas des gens, ni de l’environnement. Et parce que je trouvais absurde de créer des critères d’admission uniforme alors que la richesse de l’Europe, précisément, c’est sa diversité culturelle et économique. D’ailleurs, il ne me semble pas qu’aux Etats-Unis on ait exigé de tous les Etats des critères économiques stricts comme ceux de Maastricht. En Europe, la dette d’un Etat ne doit pas dépasser 60% de son PIB, aux Etats-Unis, la dette dépasse 112% du PIB…
« Nous avons déjà surmonté tant d’invasions, de dictatures et de difficultés que j’a confiance dans notre capacité à surmonter cette crise, conclut Yannis. Sauf que pour la première fois, à force d’être humiliés, rabaissés, montrés du doigt, les grecs n’ont plus autant confiance en eux et en l’avenir. C’est inacceptable de traiter ainsi les peuples… »
Yannis dirige le Milos Diving Center à Milos.
( link www.milosdiving.gr / 0030 22870 28077) Excellent plongeur et très pédagogue, il ajoute à la technicité une convivialité toute Hellène. A notre arrivée, sa femme Maria qui avait préparé à manger pour plusieurs plongeurs, nous a offert à boire et un gâteau de bienvenue. Ecolo dans l’âme, Yannis remue ciel et terre pour que les autorités grecques (et les habitants aussi : le nombre de décharges sauvages est impressionnant…) se préoccupent davantage de préserver l’environnement. Son grand projet : un réseau de réserves marines de petite taille, dont chaque île serait responsable dans ses eaux proches, avec des responsables chargés de faire respecter les lois sur la pêche, notamment. A Milos, la protection existe depuis quelques années, avec un résultat appréciable : la famille de phoques s’est agrandie. Il y en a aujourd’hui 22, dont un charmant spécimen de 300 kilos qui vient jusqu’au pied des tavernes, le long du port de Pollonia, pour chercher du poisson.
