Sur les ondes une dame en pleine promo d'un livre sur le sujet, vient nous asséner que l'alcool tue- que voilà un scoop ! - et que le danger commence au delà d'un demi-verre d'alcool par jour, c'est à dire 5cl de vin à 12°, une quasi abstinence. Il y a quelques années, le slogan disait « un verre, ça va, trois verres... bonjour les dégâts ! » Ce qui laissait le loisir de boire deux verres sans arrière-pensée et sans risque de faire exploser l'alcootest. Avec pour bénéfice une indéniable détente conviviale... qui nuit à une économie basée sur le stress et la frustration.
Il fallait donc serrer davantage la vis. Après deux verres et 0,8g, on est passé aux 0,5g et nous voici carrément à la « tolérance zéro », terme absolument effrayant puisqu'il signifie : « si tu sors un orteil des clous, tu deviens délinquant, et c'est moi qui sème les clous sur la route de ta vie, c'est moi qui oriente ta destinée. » Or les clous sont de plus en plus nombreux, petit homme. Tu ne t'en rends pas compte car on te serre la vis progressivement, on t'annonce des lois restrictives, puis la loi votée l'est un peu moins et tu respires, soulagé... sans te rendre compte que tu es pareil à la grenouille jetée dans une casserole d'eau froide sous laquelle on allume le feu. L'eau devient peu à peu tiède, puis chaude, puis brûlante, et tu te laisses cuire sans réagir.
A ce stade, tu as compris que l'allégorie du verre de vin concerne toutes tes libertés, tous tes droits, peu à peu grignotés, réduits à peau de chagrin, toujours au nom de ta sécurité, de ta santé, de ta longévité, de la réalité... et que si tu ne veux pas ces ajustements nécessaires, tu es un mauvais citoyen, un irresponsable ou pire : un utopiste. Tu deviens seul coupable des dérèglements de cette société. Assisté si tu bénéficies de la solidarité collective, paresseux si tu es au chômage, cancéreux si tu n'obéis pas aux injonctions sanitaires. Par le petit bout de la lorgnette on te fait miroiter mille maux et mille morts si tu ne manges pas 5 fruits et légumes par jour si tu fumes, si tu ne prends pas les médicaments qu'on te propose contre l’hypertension, le cholestérol, le diabète... Mais on ne légifère guère contre les pesticides, les cigarettiers ont tout loisir de te vendre de plus en plus cher leur poison qui rapporte tant de taxes à l'Etat, on constate la baisse générale de l'immunité dans les populations modernes, mais on se refuse à faire le lien avec la société stressante et anxiogène qu'on te sert en boucle sur Internet ou ailleurs, alors que de multiples études ont prouvé ce lien entre stress et immunité.
On s'inquiète avec fracas des traces de caca dans une tarte au chocolat mais on se fout éperdument des mécanismes de la mondialisation qui conduisent à ce genre d'épiphénomène alors que depuis des lustres, comme me l'avait dit un médecin hygiéniste « la fraise du Burkina-Faso est le vecteur idéal du typhus entre l'anus du paysan Burkinabé et la bouche de l'occidental.
Explication : le Burkina-Faso cultive et exporte des fraises que pas un local ne mange, pas plus que les haricots verts qu'il produit en abondance. Tout pour l'export, tant pis si la nourriture manque aux populations locales. Le paysan Burkinabé, donc, récolte les fraises à la main. Pris d'un besoin pressant, il va se soulager, mais ne bénéficiant ni d'installation d'assainissement, ni d'eau potable, il se nettoie du bout des doigts, d'un chiffon ou d'un maigre filet d'eau croupie et revient récolter, avec sur ses doigts des traces de matières fécales ou urinaires que le consommateur occidental avalera d'autant mieux qu'on lui recommande de ne pas laver les fraises : « Passez les rapidement sous un filet d'eau, sinon elles perdent leur saveur ».
Moralité : le droit pour tous à l'eau potable et à l'assainissement n'est pas une simple revendication de tiers-mondistes idéalistes, mais un moyen simple et efficace d'éviter des problèmes sanitaires. Pas seulement le typhus de l'occidental fraisivore, mais surtout les 5000 enfants africains qui chaque jour meurent d’infections liées au manque d'eau potable. Je vous ai parlé de l'occidental parce que son sort émeut à l'évidence davantage que celui de milliers d'enfants noirs. Si ce n'était pas le cas, les infos consacreraient 30 secondes à la tarte au caca IKEA et vingt minutes aux milliers d'enfants africains morts avant l'âge de 5 ans.
La mondialisation, qui externalise partout où ça coûte peu ou rien, ne tient aucun compte du coût du transport puisque le carburant est détaxé (sans parler du coût en termes de pollution et d'effet de serre), du chômage pour les producteurs de fraises occidentaux, de la confiscation effective de terres aux populations locales et des conditions de travail indécentes des ouvriers d'ailleurs, conditions que les pro-mondialisation rêveraient d'ailleurs d'adopter dans ces pays trop nantis qui osent encore penser que le progrès consiste en une amélioration du bien-être et du bonheur de tous.
C'est tellement absurde que cela te rend nerveux, dépressif, voire fou. Les urgences psychiatriques sont devenues la première cause des appels au SAMU de Paris, les suicides augmentent, les cas de schizophrénie aussi. On t'assure que c'est lié à la consommation croissante de substances addictives, ce qui est sans doute vrai, mais tant qu'à remonter l'arbre des causes, ne pourrait-on pas se demander pourquoi tant de mal-être dans cette société, mal-être qui pousse à la consommation de tranquillisants, excitants et drogues médicamenteuses ou illégales ? Parce que c'est un marché, pardi ! La drogue, ( sans même parler des médicaments psychotropes), est le secteur économique le plus florissant avec celui des armes, du pétrole et de la prostitution.
Moralité : il n'y en a pas. Une société où le malheur et la guerre rapportent infiniment plus que le bonheur n'est pas morale. Alors le partage d'oasis de bonheurs gratuits ( ou presque) devient le seul geste à la fois moral et révolutionnaire.
Toutes les photos, sauf la dernière, sont empruntés à Pierrick Bourgault (www.monbar.net). Depuis des années, Pierrick parcourt inlassablement le monde à la recherche des bars, bistrots, troquets, qui témoignent d'un art de vivre et d'une sociabilité en voie de disparition. Si un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui disparaît, un bistrot qui ferme, c'est la vie qui perd son lieu de rencontre, notamment dans les villages où le bistrot fait aussi épicerie, marchand de journaux, boulangerie...Les cafés sont aussi des lieux où s'expriment toutes sortes de paroles et d'art: musique, philo, sciences, littérature...
Je précise que ni Pierrick ni moi ne sommes alcooliques :) mais que tous deux apprécions les bons vins.