Sur une affiche 3x4m une blonde extasiée proclame : « J’ai découvert mon voisin sur CelibParis ». « Ce serait pas plus simple, dis-moi, de l’inviter à prendre un verre quand tu le croises dans l’ascenseur ? » D’autres sites de rencontres s’affirment « pour célibataires exigeants » ou « pour rencontres sérieuses ». J’adorerais que l’un d’eux ose écrire « site pour loosers et laissées pour compte qui aimeraient s’envoyer en l’air de temps à autre vu que chacun a droit au plaisir», ce serait plus drôle mais les pubeux manquent d’humour. Sauf dans la pub pour Gleeden, site pour adultérins honteux, qui promet la discrétion et, (humour) assure : « on ne vous proposera jamais de carte de fidélité ».
L’amour au XXIème siècle dans les grandes métropoles me laisse perplexe : c’est compliqué, c’est commercial, ça se joue sur la toile et pas dans la rue, dans des clubs et pas sur la plage, ça se termine dans un cas sur deux par une séparation, ça demande des coaches, des psys, et dernièrement des « intermédiaires sur Internet ». L’intermédiaire sélectionne des fiches sur Internet pour son client, il prend contact, envoie les messages, drague les personnes qui lui semblent convenir au profil souhaité et ne s’efface que pour le premier rendez-vous. Comme dit un adepte de cette formule, chef d’entreprise de 27 ans dans une ITV au Parisien: « Je n’ai pas le temps de m’en occuper, c’est pratique. »
Mais mon gars, si tu n’as pas de temps à consacrer à la phase la plus magique d’une rencontre- la découverte, la séduction- qu’est-ce que tu vas bien pouvoir offrir à une femme quand elle sera devenue « ta » femme, avec le quotidien pas toujours stimulant et toujours autant de boulot ? Tu crois pas qu’il vaudrait mieux rester célibataire plutôt que de la faire souffrir et d’être plaqué un jour parce qu’elle s’ennuiera avec toi et en aura marre de « faire partie des meubles » ? C’est une des grandes causes de séparation, la sensation de ne plus exister. Ces derniers jours, j’ai retrouvé deux amis perdus de vue le temps qu’ils étaient en ménage, surbookés au boulot dans la journée, interdits de dîner dehors le soir, surtout en tête-à-tête avec une femme. Le premier a eu cette phrase terrible : « Je me sens dans l’état d’esprit d’un parisien en août 1944 : libéré. » Le second à qui je rapportais cette phrase a soupiré d’aise : « Moi, pareil. »
Ainsi donc, malgré toutes les rustines- libertinage, couples « ouverts » se résumant à une autorisation d’adultère, sex-toys, coaches, sites de rencontres - appliquées à l’amour ou plutôt au couple, celui-ci a toujours et semble-t-il de plus en plus de ratés. Preuve qu’il faudrait le repenser de fond en comble.
C’est comme pour l’économie : on a beau s’efforcer de réparer le système capitaliste ou d’en atténuer les méfaits les plus criants, la crise continue car c’est la logique même du système qui est pourrie.
Le problème est qu’il est infiniment plus difficile et plus long de modifier sa logique de pensée que de mettre des rustines, et surtout cela fait peur : « On sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on risque ». C’est pourquoi les tenants du « compromis acceptable » n’ont de cesse de traiter ceux qui veulent changer le système économique d’utopistes, de révolutionnaires, d’extrémistes, d’irréalistes, alors que ces derniers sont au contraire extrêmement réalistes, prenant en compte l’échec réitéré des politiques passées, pour concevoir d’autres logiques possibles où l’écologie et le partage des richesses, par exemple, seraient prioritaires.
Idem pour le couple, (ou comme on dit en économie « le ménage ») : plutôt que des rustines inefficaces pour le réparer, ne vaudrait-il pas mieux réfléchir à la logique qui sous-tend cette institution : rapports de force, possessivité, dépendance amoureuse, préjugés religieux, enjeux économiques… et choisir une logique fondée plutôt sur l’autonomie, la confiance mutuelle et une réelle liberté d’être heureux avec et sans l’autre, voire les autres ? Une liberté totale, pas seulement sexuelle, impliquant une responsabilité totale de ses actes. Difficile ? Oui, car il n’est pas facile de renoncer à des convictions somme toutes confortables. Mais pas tant que cela dès lors qu’on ose le faire. Comme dit le Sage « Ce n’est pas parce que c’est difficile que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas que cela semble difficile. »
En somme, le libertinage et autres rustines amoureuses sont aux amours plurielles ce qu’est le PS au Front de gauche ou aux écologistes: un moyen de rendre un système supportable plutôt que de le remettre en cause. Comme quoi réflexion intime et politique peuvent aller de pair.