La trilogie « 50 nuances » c'était la grosse opération commerciale, battage médiatique sans précédent comme s'il s'agissait du premier livre érotique écrit par une femme, buzz sur Internet, inspiration puisée du côté de « Twilight », ça aurait pu s'appeler : « Sex and the Twilight ».... le succès était quasiment garanti. Des milliers de femmes - et quelques hommes- l'ont donc acheté, lu et apprécié ou non. Lorsqu'elles sont négatives, les critiques pointent le côté « cliché » de l'histoire : Christian Grey le milliardaire hyper-séduisant qui cache de « sombres secrets », Anastasia la jeune étudiante subjuguée, ce n'est jamais que la version moderne du Prince charmant et de Cendrillon. Avec en prime du sexe relevé d'une pointe de SM très mode ces dernières années. Et une écriture souvent décevante... Joli coup d'édition, se dit-on, mais ça ne marchera pas deux fois. »
Eh bien si. Les meilleures ventes du moment dans le genre érotique pour ménagères ou littérature sentimentale épicée (le classement diffère suivant les sites) reprennent exactement la même recette:
La trilogie « Crossfire » de Sylvia Day : Gidéon Cross est un businessman riche et sexy qui dissimule de lourds secrets, Eva est jeune et belle avec un lourd passé. Liaison tumultueuse et sensuelle entre les deux.
La série de Julie Kenner : Damien Stark est un riche homme d'affaires meurtri, il désire, veut avoir et aura la jeune et belle Nikki. Liaison torride entre les deux.
Et enfin en ebooks « 100 facettes de Mrs Diamonds » par Emma Green. Chaque ebook fait environ 70 pages, on en est au volume 12 pour raconter « la passion entre Gabriel Diamonds, multimillionnaire déchiré par des blessures secrètes et la jeune et belle Amandine. » Ça fait tout de même plus de 800 pages !
Des milliers de pages lues par des millions de femmes où l'on associe systématiquement la séduction masculine à l'argent et au pouvoir et la féminine à la jeunesse et à la beauté. Ce n'est pas nouveau, direz-vous, les romans « Harlequin » mettent aussi en scène sinon des milliardaires, des chefs de clinique séduisant une infirmière, chanteur à succès et jeune fan, politicien puissant et groupie lambda. Mais c'est cela qui est navrant : la pérennité de ce schéma.
Quarante ans de luttes féministes, de prétendue égalité homme/femme et de « libération sexuelle » pour que l'amour et la sexualité, qui pourraient/devraient être les territoires les plus libres et gratuits du monde restent inféodés à l'idée que les femmes attendent des hommes puissants et riches qui, seuls, sauront les révéler. Les sous-titres de ces séries sont éloquents: « Dévoile-moi » « Apprends-moi », « Regarde moi » « Tout ce qu'il voudra » « Aime moi » « Délivre moi »... Et je m'étonne ensuite que des filles m'écrivent « Comment fais-tu pour rencontrer des hommes ? » vu qu'il y en a environ 3 milliards sur terre. Mais elles ne veulent pas rencontrer des hommes, elles veulent être regardées, séduites, choisies par un homme, riche beau et puissant de préférence. Un rêve, comme elles en conviennent d'ailleurs dans certains commentaires de lecture où elles opposent le héros qui les fait rêver à « leurs hommes » bedonnants, avachis devant la télé, qui rotent et ne leur offrent pas de fleurs. » Bien sûr qu'il est bon de rêver, mais tant que ça n'amène pas à ne plus voir la réalité.
Eh oui, les filles, en ouvrant les yeux on peut rencontrer dans la vraie vie, non pas le Prince charmant, mais de multiples hommes pleins de charme qu'on peut aborder, à qui on peut dire qu'ils nous plaisent. Avec qui le désir ne se résume pas à un portefeuille bien garni. Avec qui le désir ne se résume pas, d'ailleurs, tant il est mystérieux, surprenant, changeant, pour peu qu'on prenne la peine de regarder les hommes au lieu d'attendre qu'ils nous regardent. De leur parler et de les séduire au lieu d'attendre qu'ils agissent... « Et si tu prends un râteau ? » me demandent des copines. Pas grave. Depuis des siècles les hommes prennent des râteaux, ça ne les a aucunement empêchés de dominer la planète, preuve que le râteau n'est pas mortel. De plus, prendre l'initiative dans sa vie amoureuse permet d'en assumer la responsabilité au lieu de développer de la rancoeur envers les hommes, c'est reposant pour soi et pur eux.
Je déplore cette littérature érotico-sentimentale qui tend à perpétrer des relations hommes/femmes où l'homme domine et la femme est vénale, où l'homme décide et la femme reste en attente. Où le désir demeure un privilège de nantis alors que- comme je l'ai écrit dans « Autres désirs, autres hommes »- l'érotisme est au coin de la rue et doit appartenir à tous, riches ou pauvres. Ces romans reprennent sur des centaines de pages le slogan publicitaire de je ne sais plus quelle voiture « il a l'argent, il a la voiture, il aura la femme ». Les féministes avaient attaqué cette publicité pour sexisme, et on oserait prétendre que ces romans sont inoffensifs ?