Honk est un documentaire distribué dans quelques salles seulement, qu’il faut aller voir très vite avant qu’il ne disparaisse des écrans. HONK, ça veut dire « klaxonner ». Comme le fait chaque jour la mère d’un condamné à mort en passant devant la prison de Huntsville, au Texas, où son fils attend depuis 14 ans d’être exécuté, et perd peu à peu les potes qu’il s’est fait en prison, exécutés avant lui. Ca doit faire bizarre de chercher un copain le matin et d’apprendre sa mort, quand on a si peu de relations humaines. Comme dit sa mère : « J’aimerais lui caresser la joue pour le réconforter mais je n’ai pas le droit. Je n’aurai le droit de le toucher que quand il sera mort. »
Ethnologue et sociologue, les deux réalisateurs Arnaud Gaillard et Florent Vassault filment les gens, les laissent parler, n’ajoutent aucun commentaire. La réalité est suffisamment éloquente. On voit d’abord trois femmes partir la nuit pour assister à l’exécution d’un condamné qui, des années auparavant, a tué un homme qui était le fils de la première, le mari de la seconde et le père de la troisième. La plus jeune est toute excitée à l’idée de « voir quelqu’un mourir », la seconde est émue car elle a fait piquer son chien la semaine précédente et l’exécution lui rappelle ce chagrin. La mère note, mélancolique : « Je pensais être contente, mais ça ne va pas me rendre mon fils et en définitive je ressens de la tristesse… » Il y a donc la mère du condamné, qui klaxonne chaque jour au volant de sa belle voiture achetée à crédit tandis qu’elle vit dans un taudis miséreux.
Enfin il y a le personnage le plus attachant du film, un condamné qui a passé 22 ans en prison, dont 19 dans le couloir de la mort, avant d’être innocenté par des tests ADN. Il est traumatisé, ne sait plus ouvrir seul une porte parce que durant 22 ans il n’a pas eu le droit d’en ouvrir, mais malgré tout lucide, généreux, lumineux, et on se dit « Bon Dieu, heureusement qu’ils n’ont pas tué un type pareil ! » Troy Davis, qui clamait son innocence (la plupart des témoins qui l’accusaient se sont récusés) n’a pas eu cette chance. Hans Skinner, qui devait être exécuté ce mercredi 9 novembre, a un sursis de 48h. Lui aussi a demandé des tests ADN mais n’est pas sûr de les obtenir pour des raisons de procédure. Lui aussi clame son innocence. C'est ainsi que les Etats-Unis se classent au 5ème rang en nombre d’exécutions, derrière la Chine, l’Iran, la Corée du Nord et le Yémen. Que des démocraties exemplaires…
La force de HONK est de montrer la réalité de la peine de mort dont les méthodes- chambre à gaz ou injection létale- ont été empruntées aux nazis. On voit le bourreau expliquer qu’il faut 7 seringues de 50ml pour une exécution. 3 de produits toxiques, et entre chacun d’eux, deux seringues de solution saline pour rincer la perfusion car il n’est pas propre et même dangereux de mélanger les produits entre eux. On s’apprête à tuer un homme, mais faut le faire hygiéniquement. Absurdité glaçante de la peine capitale " cette schizophrénie d’une société persuadée de tirer des bénéfices dans le fait de tuer pour montrer qu’il ne faut pas tuer."
Au-delà de la peine de mort, HONK montre l’extrême misère de la middle class américaine. On est à dix mille lieues du rêve américain, ou disons que ce « rêve américain » assis sur le mythe de 1ère puissance mondiale n’a enrichi qu’une infime minorité, tandis que la dette colossale, l’endettement des particuliers, la spéculation, les guerres inutiles… appauvrissaient la majorité des habitants de l’Amérique profonde : misère matérielle, paysages en friche, urbanisme hideux, individualisme violent, obésité omniprésente, vide intellectuel, affectif, spirituel… C’est glaçant.
En sortant, on ne sait peut-être pas exactement de quelle société on rêve mais on sait exactement de quelle société on ne veut pas.