« Il y a des faits-divers sanglants en été… Enfants kidnappés, alpinistes emportés par une avalanche, règlements de compte à la sortie des bals du 14 juillet, émeutes dans les prisons… ce lot d’épouvantes passe en été entre deux spots de pub ensoleillés qui vous recommandent de boire modérément l’apéritif anisé dont par ailleurs on vous matraque le nom jusqu’à… plus soif ».
Ces lignes d’un billet de juillet 2007 restent d’actualité. La trêve estivale vaut pour les infos internationales ou politiques, pour les analyses et les débats, mais pas pour le fait-divers émotionnel et cet été en est fourni. Je n’ai aucune envie de revenir sur l’atrocité des faits ni de m’appesantir sur la souffrance indicible des parents. Perdre un enfant est un drame si indicible qu’il n’existe aucun mot pour définir ce deuil, alors qu’il existe orphelin ou veuf/ve quand on perd ses parents ou son conjoint.
En revanche, bien que journaliste moi-même, je suis atterrée par l’indécence des caméras qui traquent la famille, les larmes, les obsèques… parce que l’émotionnel, ça vend bien coco, alors qu’au niveau informatif ça n’a aucune valeur. Je me souviens d’une réalisatrice me racontant qu’après avoir filmé une victime « digne et courageuse », elle avait appelé sa productrice qui avait questionné : « Est-ce qu’elle a pleuré ? – Non. – C’est nul, je veux des larmes, retournes –y, dis lui n’importe quelles horreurs mais arrange toi pour avoir des larmes sinon ton film, tu te le mets où je pense… » La jeune réalisatrice, en service commandé, était retournée harceler la victime… (authentique !)
Stupéfiant aussi que les victimes se prêtent au jeu des reporters qui leur disent parfois, c’est certain : « Vous pourriez nous redire, ça, le son était mauvais. Et n’oubliez pas de commencer votre phrase en reformulant la question, sinon, c’est compliqué au montage ». Et les mères en larmes obtempèrent. Le culte de l’émotionnel a aussi créé cette manie qu’un ministre se déplace immédiatement ou va aux obsèques d’une victime, histoire de montrer qu’il occupe le terrain, terrain aussitôt colonisé par des équipes de tournage pour recueillir la déclaration officielle. Un animateur sur RMC a eu le courage de s’en indigner : « Je perdrais un enfant, j’aurais envie qu’on me foute la paix, qu’on me laisse me recueillir seul avec mes proches ! »
Le fait-divers réveille aussi les « y a qu’à » émotionnels. On découvre brusquement qu’il existe des psychotiques qui peuvent –de façon rarissime heureusement- passer à l’acte. Or, partout dans le monde, quel que soit le pays, il y a 1% de schizophrènes et 1% de maniaco-dépressifs aussi appelés bipolaires. Ça fait rien qu’en France 1 300 000 malades mentaux contrôlables avec des traitements et un suivi psychiatrique approprié. Mais dans les faits, on manque de structures, on manque de psychiatres et les familles- j’en ai côtoyé lors d’un dossier sur la schizophrénie- sont très souvent démunies, désemparées. « Y a qu’à les enfermer ! » Comme l’a dit justement un policier : « Si on devait enfermer tous les gens un peu bizarres, il n’y aurait plus grand monde dehors. » En dehors d’un délire, le psychotique semble normal alors que la maladie est toujours là. Et lors de mon enquête, il m’est arrivé de me demander où était la vraie folie des hommes, tant le délire du malade lui semblait logique alors qu’il voyait notre monde si dangereux et angoissant.
Le fou psychotique, incarne l’irrationalité totale, avec l’impossibilité de prévoir s’il sera un jour ou non dangereux. Il nous met face à cette difficile vérité qu’on ne peut pas tout maîtriser et c’est pourquoi il fait si peur. En revanche, les « drames familiaux » : un père tue sa femme et ses deux enfants avant de mettre le feu à son pavillon, un père pend ses deux fillettes avant de se suicider. Un homme tue son ex et se suicide, une femme jette son bébé par la fenêtre, essaie de tuer son aînée et de se suicider… qui ont causé 15 morts, dont de nombreux enfants, rien qu’au mois de juillet, sont relégués à la page faits-divers. Depuis toujours, les crimes dits « passionnels » bénéficient d’une relative indulgence, alors qu’on pourrait tout aussi bien penser qu’il est monstrueux de tuer des gens qu’on prétend aimer. J’ai même entendu un auditeur demander « Il va être poursuivi ? (en parlant d’un père meurtrier) mais c’était son enfant. » Entendu il y a deux jours : « Encore un enfant décédé après avoir été oublié dans une voiture ». Le « encore » signe la banalisation du fait. D’ailleurs, une amie m’a fait frissonner en affirmant tout tranquillement qu’elle comprenait qu’on puisse oublier son enfant dans une voiture quand on est fatigué ou stressé. La folie psychotique effraie, le stress meurtrier est admis… La guerre aux milliers de morts encore plus.
Cela ne date pas d’aujourd’hui. Dans un livre découvert pendant les vacances, « l’Affaire Winston », de Howard Fast, un capitaine de l’armée américaine est chargé d’assurer la défense d’un sergent qui, sous le coup d’une crise de folie reconnue par l’expert psychiatre, a assassiné un gradé britannique. Le jeune capitaine dit à son général : « C’est étrange. Ce type va sans doute être pendu pour avoir tué un homme. Moi, j’en ai tué quinze à la guerre et on m’a décoré. » Le général lui offre aussitôt un verre d’alcool et lui dit que pour raisonner ainsi, il doit avoir petit moral…
Ce livre m’a été donné par le voileux rencontré à Serifos. Je l’avais pris sans enthousiasme- bôf, un livre de guerre- uniquement parce que je n’avais plus rien à lire, et ne l’ai plus lâché jusqu’à la fin, savourant le contraste entre l’intensité de l’écrit et la sérénité de la plage grecque. Je vous le recommande fortement.