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19 décembre 2008 5 19 /12 /décembre /2008 16:11


La nouvelle l’avait pris de plein fouet par derrière, comme un sale coup de latte reçu dans la nuque. Il allait avoir 45 ans. Parcours impeccable : grande école, stage de deux ans aux USA, trilingue, la classe… Il habitait un appartement en plein ciel, partait au ski une semaine chaque hiver, plus un grand voyage par an. Voyage d’agence, il n’avait pas le temps de l’organiser lui-même. Ses gosses râlaient : « P’pa, pourquoi les pays se ressemblent tous ? » En Turquie , au Mexique au Sénégal, en Thaïlande, ils retrouvaient les mêmes quatre étoiles avec piscine,  animations, cours de jet-ski, cinq restaurants dont un grill sur la plage, les excursions bien encadrées et les boutiques de souvenirs siglés made in China. Il leur disait : « Ne vous plaignez pas, vous êtes des privilégiés ».  On lui demandait : « Que faites-vous dans la vie ? » Il répondait : « Je suis analyste financier au Crédit Noragrimutuel » et personne ne savait davantage ce qu’il FAISAIT.  Sa femme faisait de la peinture, suivait des cours de yoga,  restaurait des meubles achetés dans les brocantes, militait dans une association de consommateurs, allait au théâtre et au concert. » Mais personne ne lui demandait ce qu’elle faisait dans la vie, puisqu’elle ne TRAVAILLAIT pas ! 

La nouvelle l’avait pris de plein fouet : l’argent qu’il avait placé en stock-options avait fondu. Virtuellement, certes, mais s’il s’avisait de vendre, la perte serait bien réelle. Et comme une nouvelle n’arrive jamais seule, il faisait partie du prochain plan de restructuration. Il rentra chez lui. L’appartement était vide. Sa femme était partie chez ses parents préparer les fêtes de Noël, il la rejoindrait en train.
Les enfants vivaient loin. Il se demanda quel âge ils avaient à présent, il n’avait jamais réussi à mémoriser leur année de naissance, ça énervait la plus jeune quand il croyait qu’elle avait 8 ans alors qu’elle en avait 10. Aujourd’hui, elle vivait au Costa Rica où elle avait monté une entreprise de café bio. Le fils aîné était musicien en Australie. L’un et l’autre avaient voulu voir comment étaient vraiment les pays en dehors des hôtels quatre étoiles. Philistins, épiciers, tandis que vous caressiez, vos femmes…
http://www.frmusique.ru/texts/b/brassens_georges/philistins.htm


Il chercha ses fiches de paye dans un classeur. 20 ans de vie professionnelle, 242 feuilles de papier, l’épaisseur d’un livre. « Le roman de ma vie se résume à deux centimètres et demi de papier plein de chiffres. » Il s’attendrit en retrouvant le montant de son premier salaire, le seul qui l’avait rendu fier. Pour le reste, la vie avait roulé sans qu’il s’en rende compte… Il se demanda ce qu’il allait faire du reste. A la gare de Lyon, un jeune homme lui tendit un tract.
« Le jour de ma mort, je me souviendrai de l’odeur des embruns en Bretagne, d’un baiser échangé sous un réverbère, de la chanson qui le matin me donne envie de pleurer ou me met la joie au cœur,  parfois la même, http://www.youtube.com/watch?v=1EI4v9zmwA0  
d’un voyage en car à flanc de montagne avec de somptueux paysages, d’une marche nocturne le long des quais de Seine après le dernier métro, durant laquelle je me disais que cette ville dure, sale, bruyante… est aussi de celles dont on tombe amoureux lorsqu’on lui parle à l’oreille, du vagabond avec qui j’ai échangé quelques mots et connu un peu mieux son périple de Bosnie en France, des poissons méditerranéens qui me frôlaient et laissaient sur ma peau les bulles de leur souffle comme des millions de pépites d’argent, du silence de l’aube au bord d’un lac, des dernières confidences de mon père ou de ma mère avant leur mort,  du bruit de succion des nouveaux-nés lorsqu’il tètent leur mère avec une énergie stupéfiante, de mes doigts enlacés aux tiens, caressant  millimètre par millimètre tes phalanges si douces, de l’odeur d’herbes chaudes d’une soirée d’été, du bonheur de s’endormir sous les étoiles, des mots d’amour qui suivent l’amour, du bruit du ressac en bas d’une falaise, de l’odeur du pain chaud sortant d’une boulangerie, des étoiles filantes au mois d’août, des ballons de vapeur sortant de ma bouche en hiver…
Mais je ne penserai pas une seule seconde à mon travail ni à mon pouvoir d’achat. Le jour de ma mort, je veux emporter dans ma tête un patrimoine de vie. »

 

 

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commentaires

F
à Emmanuelle: mercià SF: ben oui...à TB: moi, j'ai un travail qui me plaît, un vrai privilège. Pourtant, je suis sûre que ce n'est pas à lui que je penserai au dernier moment. Et encore moins à ses dimensions parfois alimentaires!à Andiamo: Prévert, Andiamo, Prévert!à Sam: c'est vrai que le no past induit le no future et empêche bien des gens de tirer les leçons de l'histoire, que ce soit la grande Histoire ou leur propre histoire. D'où le principe de répétition cher à papa Freud.à Syolann: bon, tu te libères pour notre week-end Belge?à Paula: très contente de cette rencontre "en vrai".
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P
Magnifique, comme d'habitude....à demain ?
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S
Trop longtemps que je n'étais pas passée te lire et j'ai passé un bon moment au travers de tes billets. Le feuilleton POWEO me fait penser à ce que je traite tous les jours au boulot!! J'aime bien quand tu parles d'écriture et de cette traversée solitaire au coeur des mots, tu n'imagines pas comme ça me manque!! Plein de gros bisous
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S
Bien que je ne sois pas à convaincre sur l'investissement dans un tel patrimoine, je pense que son cours dans la bourse des moeurs est au plus bas suit à une sorte de tendance post-punk du style : NO PAST ! C'est dingue, mais alors là complètement dingue, de constater autour de moi cette tendance générale qu'il y a n'accorder aucune réalité au passé, d'annihiler toute forme de passé comme s'il s'agissait d'un ennemi pour le futur, alors que le futur n'est jamais que la suite de la même histoire, de l'histoire même de ce passé. Le peu de place laissée au passé consiste à alimenter les projections dans le futur, futur sans réalité, sans réalité et donc en mal de réalité, réalité pour laquelle le passé est le bienvenu à condition de ne pas rappelé q'il est passé et de se faire passer pour le présent :)
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A
Et le bruit de l'oeuf dur cassé sur un comptoir d'étain ? Qui s'en soucie ? Hein ? Qui ?Très bon chère Françoise, toutes ces petites choses, et tu sais bien l'écrire.
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