Ce jour là, le vieil homme s’endormit à grand peine. Dans son sommeil troublé, il entendit une clameur. Sur l’air de la chanson « C’est Thérèse, qui rit quand on la baise » des milliers d’africains scandaient « Benoît Seize… » et, présupposant que le saint homme ne saurait s’esclaffer dans une telle circonstance, remplaçaient le verbe rire par le verbe prier…
Le saint Père se réveilla en sursaut de son cauchemar, transpirant de honte et de führer. Il ne pouvait s’empêcher de visualiser la scène chantée par la foule et en ressentait un émoi qui le promettait assurément aux flammes de l’enfer- Satan l’habite- car une simple pensée de luxure constitue un péché, selon les dogmes de l’Eglise. Mais au lieu du Diable, il aperçut au pied du lit un couple tout de blanc vêtu, le Christ et sainte Thérèse. La sainte riait à belles dents, ravie du détournement de la chanson, qui l’avait du reste toujours amusée, même en version originale. Le fils de Dieu s’adressa au vieil homme d’un ton sévère : « N’as-tu pas honte de toi ? De quel droit oses-tu condamner des milliers d’hommes et de femmes à la maladie et à la mort avec tes propos inconséquents ? Ne sais-tu pas que Dieu seul a pouvoir de décider de la destinée des êtres qu’il a créés ? »
-Mais Seigneur, je voulais les ramener à la morale chrétienne… »
-Nom de moi-même, s’écria le Christ, quand te décideras-tu à chasser les marchands hors du temple comme je l’ai fait, au lieu d’être un obsédé sexuel ? Sache que Dieu ne crée rien au hasard. Si mon Père- qu’il soit loué car il n’est pas à vendre- a créé l’homme et la femme sexués, c’est bien pour qu’ils se servent de ces organes.
-Pour procréer, Seigneur, pas pour le plaisir !
-Benoît, même si tu ne pratiques pas ce jeu dont tu entends paradoxalement fixer les règles, tu n’ignores pas que j’ai doté les femmes d’un clitoris ?
-Oui, Seigneur, je l’ai appris en classe scientifique au temps de mon adolescence.
-Ce clitoris, organe majeur du plaisir féminin, est inutile pour procréer. Si je l’ai créé, moi qui ne fais rien sans grand dessein, c’est bien parce que je voulais que les femmes aient du plaisir. Si l’acte sexuel ne donnait aucun plaisir, crois-tu qu’après avoir subi une fois les douleurs de l’enfantement, elles accepteraient d’enfanter à nouveau ?
Le vieil homme tenta une ultime estocade, ce qui à y réfléchir constituait un péché majeur : contredire la divine parole !
« Seigneur, même si le plaisir sexuel n’est pas un péché, il doit néanmoins se pratiquer exclusivement au sein du couple marié, et dans ce cas, il n’est nul besoin de préservatif. »
Jésus baissa la voix et chuchota à l’oreille du saint Père : « Je te rappelle que ma mère était mariée avec Joseph- un saint homme, ce Joseph- et que Joseph n’est pas mon Père, Dieu en est témoin. Alors, je t’en prie, pas d’allusion blessante de ce type. »
Au loin, les clameurs avaient changé. En lieu et place de la joyeuse chanson paillarde sur fond de tam-tam, on entendait des voix viriles et s’élever contre la fermeture prochaine de leur usine.
« Vois-tu Benoît, soupira le Christ, je comprends l’inquiétude de ces ouvriers du pneu, mais en même temps, l’économie ne doit pas occulter le problème écologique. Avec leurs hydrocarbures, les humains ont bousillé l’atmosphère pure que j’avais créée. La crise dans l’automobile n’est pas un mal en soi si cela peut réduire le nombre de voitures e la pollution. Le tout est de trouver comment faire travailler ces gens. Après tout, nombre de métiers du passé ont disparu et de nouveaux sont apparus. Il faut chercher ce qui sera utile à l’humain, sauver des vies plutôt que détruire ou tuer…
A cet instant, une colombe entra par la fenêtre entrouverte et se posa sur la tête du vieil homme qui s’illumina soudain d’une flamme ondulante. Jésus éclata de rire :
« Tu ne te renouvelles pas, Esprit-Saint ! Depuis la Pentecôte, tu nous fais le coup. Enfin, si ta flamme peut éclairer Benoît, je te et nous rendrai grâce, et à mon Père aussi. »
Les JT du lendemain ouvrirent sur cette nouvelle : cherchant des débouchés pour le latex servant à la fabrication des pneus, Continental, Goodyear et Pirelli s’associaient pour créer la plus gigantesque fabrique de préservatifs du monde, destinés aux pays les plus touchés par le SIDA. Le Vatican avait décidé d’investir massivement dans ce projet.
AUJOURD’HUI 22 MARS, JULIEN COUPAT, N°D’ECROU 290173, EST DETENU DEPUIS 128 JOURS. NE PAS L’OUBLIER, NE PAS S’HABITUER SURTOUT, S’HABITUER A L’INJUSTICE, C’EST LE DEBUT DE LA SOUMISSION… |