2 novembre, Jour des morts, profitons en pour en parler, puisque ce sujet concerne tout le monde, riche ou pauvre, homme ou femme, beau ou laid. Sauf que la mort, Coco, on en parle peu. C’est sujet quasi secret défense. Dans nos civilisations occidentales s’entend, parce qu’en Afrique, au contraire, comme me disait mon frère après 4 ans de Bénin et de fréquentation de villages reculés « ils s’occupent davantage des morts que des vivants. » Quant au culte des ancêtres en Asie, je ne vous dis pas… Mais en Occident… Il y a quelques années, avec un ami, j’avais proposé à un groupe de presse un projet de trimestriel tournant autour de la mort. Il possédait déjà des magazines pour les bébés, les petits, les écoliers, les lycéens, les adultes, les jeunes retraités, les vieux et les impotents. Ca me semblait logique de compléter leur collection. L’idée m’était venue quand une amie m’avait dit « je dois aller à un enterrement juif, est-ce que tu sais si on y envoie des fleurs ? » Je n’en savais fichtre rien, et je m’aperçus alors qu’on est hyper ignorant de ce qui concerne la mort, les rites, les cultures, la loi … jusqu’à y être soi-même confronté.
J’ai raconté dans « Aimer plusieurs hommes » comment un copain de 16 ans (j’en avais 14 et demi) s’était noyé. Deux heures plus tôt, je riais avec lui. Cette expérience selon laquelle on n’est jamais sûr qu’une personne qu’on aime sera là le lendemain a sûrement été primordiale, fondatrice, dans ma vision de la précarité des choses et des êtres, et, paradoxalement, de l’éternité des sentiments puisque je n’ai jamais oublié ce garçon qui n’était pourtant même pas un amoureux, mais juste un bon camarade: "jamais au grand jamais son trou dans l'eau ne se referma". Il m'avait très tôt confrontée à ce fait mystérieux de la disparition irrémédiable. Je me souviens m’être dit avec une sorte de curiosité: « lui sait ce qu’est la mort », et avoir aussitôt compris que cette expérience universelle puisqu’on y passe tous, est indicible. Entre la vie et la mort, il n’y a que l’arrêt d’un souffle et la phrase rituelle « c’est fini » que prononce le médecin, le pompier ou tout autre témoin présent, sauf les proches qui n’y veulent pas croire et murmurent si souvent « ce n’est pas possible ». Il suffit de mourir - c’est tout simple, même les imbéciles y arrivent - pour être à jamais incapable de communiquer cette expérience. A l’inverse, aucun vivant ne devrait s’autoriser à préjuger de ce qu’est la mort. Il n’en sait rien.
Qu’il s’abstienne de dire « c’est une belle mort » (ça veut dire quoi ?), « il (elle) n’a pas souffert » (qu’est-ce qu’il en sait, le vivant de service ?) « les plus malheureux sont ceux qui restent » (est-ce bien sûr ? Ce sont pourtant ceux qui restent qui iront, après les obsèques, déjeuner ensemble et goûter cette chaleur toute particulière des retrouvailles familiales d’enterrement. Ce sont les vivants qui, quelques mois après, feront des projets de vacances ou vivront de belles amours…) Bizarre aussi cette certitude assénée par les prêtres selon laquelle le défunt a rejoint Dieu et connaît le bonheur de la vie éternelle… sans supposer une seconde que ledit défunt a pu mériter l’enfer ou au moins le purgatoire dont on nous a bassiné toute l’enfance pour nous faire peur au moindre péché véniel. Les morts, disait Brassens, sont tous de braves types, mais cette unanimité est bien agaçante à l’enterrement de certains dictateurs et salauds intégraux qui ont du sang sur les mains, le malheur de milliers de gens sur la conscience et qu’on bénit d’un goupillon oublieux.
Et puis d’ailleurs, qui sait ici-bas ce qui se passe après la mort ? Par mesure d’économie ménagère, je pencherais volontiers pour la réincarnation qui évite qu’une âme ne serve qu’une fois, mais j’avoue n’avoir aucune certitude… Alors quand je mourrai, j’aimerais qu’on évite les lieux communs et que tout simplement on se souvienne des jolis moments de vie partagés.