"Tu n'imagines pas l'émotion, quand on largue les amarres. Les matelots s'activent à leur poste, tu entends des cris, des ordres, le grincement des amarres sur les winches, puis peu à peu la côte s'éloigne et il n'y a bientôt plus que la mer et l'odeur des vagues". Je me souviens de ce cousin qui rêvait d’être steward sur un paquebot et de faire le tour du monde. Le sien s’est arrêté à Marseille, d’où il n’a jamais bougé et d’où il ne bougera plus puisqu’il est mort sans avoir jamais pris la mer.
Voilà pourquoi j’aime Olivier, cet autre cousin ou plutôt petit cousin, fils de mon cousin et parrain. Parce que depuis des années, avec des volte-face, des virements de bord, des efforts et sûrement des doutes, il nourrit sa passion pour la mer. Tout enfant, il grimpait en haut du mât des voiliers que skippait son père, lequel se faisait parfois insulter par des plaisanciers outrés qu’on fasse ainsi courir des risques à un gamin, alors que le résultat est là : à affronter ses peurs, on apprend à respecter la mer, à ne pas se prendre pour Rambo le marin, à acquérir peu à peu la gestuelle qui rend la navigation plus sûre et harmonieuse. Olivier a convoyé moult voiliers d’un port à l’autre, il a aussi tenu pendant plusieurs années un bar à la Rochelle, appris à faire le coup de poing avec les ivrognes qui traînent à l’aube sur les quais, à dire « oui » et « non » quand il le faut pour garder son intégrité, passé quelque temps à faire le commercial dans une entreprise où il s’est coltiné avec la réalité économique, épousé une femme lumineuse, pris du temps sabbatique pour s’occuper de ses deux enfants, et décidé l’an dernier de reprendre des études pour devenir capitaine au long cours… Dur, dur, quand on a, comme il dit « souvent oublié le chemin de l’école » de s’y remettre à plus de 40 ans.
Mais aujourd’hui c’est fait : Olivier est capitaine d’un vieux bateau, le Nautile, avec lequel il organise des sorties en mer et des journées de pêche pour les estivants, secondé par Franck, qu’il a rencontré pendant ses études marines. Franck parle de la mer avec une justesse infinie et une fibre écolo à laquelle je suis évidemment sensible. Il a refusé de travailler sur des chantiers où on fabrique à la chaîne des bateaux de plastique collés avec des produits hyper toxiques, parce qu’il veut, pour cette mer qu’il vénère, la noblesse et la tradition du bois et de l’artisanat.
Un soir, ils nous ont emmenées en mer contempler le coucher de soleil. La côte s’éloignait, le brouhaha des terrasses de café s’estompait… La magie d’une sortie de port est indicible, tout comme la magie d’écouter le silence à peine troublé par le clapotis de l’eau sur la coque lorsqu’on a coupé le moteur et jeté l’ancre au large « La mer est ronde », comme disait Jean-François Deniau (je recommande ce petit livre à tous les amateurs de voile, chevronnés ou non) et la vue de l’horizon courbe remet l’humain à sa juste place : grain de sable dans l’univers, mais heureux, si heureux d’en faire partie.
Olivier et Franck vont passer cet hiver et le suivant à aménager le Nautile en vieux gréement. Enorme boulot en perspective, soucis d’argent à la pelle, mais comme dit mon cousin : « Je ne vais pas me plaindre si j’arrive à vivre de ma passion. »
J’aime ces parcours chaotiques, infiniment plus séduisants que le récit d’une carrière menée sagement après des études brillantes dans une entreprise qui vous octroie un salaire mirifique et des stocks-options, mais peu de rêves non tarifés et peu de temps pour le reste.
Si vous passez à Saint Martin de Ré avec l’envie de vivre un coucher de soleil sur la mer ou une matinée à taquiner le maquereau ou le bar, allez sur le port, et cherchez le panneau du Nautile. Allez, je vous donne même le numéro, c’est un cadeau, d’autant plus qu’Olivier a des airs de Brad Pitt et que vous dire de lui faire la bise de ma part est un plaisir que je vous offre. J
Le Nautile : 06 10 25 60 52