Henri Laborit était médecin et chercheur. Il a mis en
Il peut compenser en tapant plus faible que lui : « L’homme qui ne peut pas battre son patron bat sa femme pour se soulager, la femme son enfant, l’enfant bat son chat, le chat la souris, la souris le fromage, le fromage est battu… (c’était une comptine de mon enfance, qui avait tout compris des rapports humains !) S’il ne peut frapper personne, il se frappe lui-même : insomnies, dépression, infarctus, cancers… Ce qu’on appelle des « maladies de civilisation », drôle de civilisation… Ou autodestruction : alcool, drogues, suicide.
Reste l’idéale solution : la fuite. Dans l’art, la création, la musique, le rêve l’humour ou la distance spirituelle, l’indifférence féconde au monde qui s’agite… Laborit aimait tellement cette solution qu’il a écrit un bouquin « Eloge de la fuite », qui fût mon livre de chevet durant des années et m'a sans doute appris à fuir les gens et les situations toxiques, et avoir une certaine lucidité. Ce décryptage de la vie peut sauver la vôtre, en vous donnant des clés pour ne plus être « inhibé. » Plus ludique : avec le cinéaste Alain Resnais, Laborit a conçu le film « Mon oncle d’Amérique » où les rats de laboratoire sur lequel il a fait ses expériences sont interprétés dans une formidable histoire par Gérard Depardieu, Nicole Garcia, Pierre Arditi, Roger Pierre…
En 1992 ou 93, je suis allée interviewer Henri Laborit qui souffrait déjà de l’insuffisance respiratoire qui allait l’emporter en 95. Il m’a accueillie d’un agressif : « Vous avez la prétention de résumer 30 ans de travail en trois pages de magazine ? » Il venait de peiner vingt minutes pour monter deux étages et souffrait visiblement de ne pas être à son avantage devant une femme. Je lui ai souri : « Vous avez réussi à le faire dans un film de 90 minutes, alors je peux essayer… » Il m’a remis entre les mains de son jeune collaborateur qui m’a confié : « Henri expérimente sur lui ce qu’il a toute sa vie théorisé : il est inhibé dans son action par la maladie. Cette dégradation physique le rend agressif. Excusez le. » Au retour de la visite du labo, je suis retourné voir Laborit, qui avait eu le temps de souffler et de se remettre. Il fût absolument charmant, passionnant, de ce charme inné que donne l’intelligence.
L’insuffisance respiratoire l’a emporté. C’est une vraie saloperie, sentir que ses neurones mal oxygénés vont se flétrir, avoir au sens propre le souffle coupé. Ce n’est pas pour rien que chez les asiatiques l’énergie vitale, le Chi (ou Qi) signifie aussi « souffle » et qu’en art martial comme en méditation on vous apprend à respirer, ce que, paraît-il, font très mal les occidentaux. Beaucoup de personnes âgées tassées par les années respirent mal, les gens humiliés par la vie « qui rentrent les épaules » aussi. Dans les deux cas, ça peut les rendre agressifs, inhibés qu’ils sont dans leur liberté d’être.
Lisez Henri Laborit, il permet de comprendre plein de choses…
Le bonheur ou le malheur, à partir du moment où on possède de quoi se nourrir, se couvrir, se loger, on les porte en soi. (Laborit, "Copernic n'y a pas changé grand chose")
Il est bon de noter combien la charge affective des mots bien-être, joie, plaisir, est différente: le bien-être est acceptable, la joie est noble, le plaisir est suspect. (Eloge de la fuite)
Il y a eu plus de crimes perpétrés au nom de l'Amour qu'au nom de la haine" (Dieu ne joue pas aux dés)