Je leur ai dit: « Imaginez que vous allez acheter une voiture. Le garagiste vous propose un modèle unique : « Il est magnifique, on le fait depuis cinquante ans et les clients sont nombreux, mais il est moins solide qu’avant, comme toutes les machines d’ailleurs. Au bout de trois ans, la peinture se ternit, il y a souvent des cafouillages au démarrage, bref… -Bon, dit le client, et au final, elle dure combien de temps ? –C’est variable, soupire le garagiste, mais disons qu’au bout de 6 ou 7 ans, un exemplaire sur trois est à la casse;» Vous vous demanderiez sûrement pourquoi, au lieu de s’obstiner à ne vendre que ce modèle si peu fiable, on n’en a pas imaginé d’autres, fonctionnant de façon différente, peut-être moins simples au départ, mais plus durables ?
Ce qui est vrai pour la voiture l’est pour le mariage : un couple marié en 2011 a une chance sur deux ou trois de se séparer après moins de 7 ans. Pas question pour autant de supprimer la monogamie pour ceux à qui elle convient, mais pourquoi l’imposer comme seul modèle possible (en occident tout au moins) et considérer celles et ceux qui vivent autrement comme des transgressifs?
Je leur dis aussi : « Le pétrole va bientôt s’épuiser, et cette perspective sème la panique, comme l’annonce d’une véritable fin du monde. Pourtant, le monde s’est passé de pétrole pendant des siècles, et cela n’a pas empêché la construction des Pyramides ou de la cathédrale Notre-Dame, la découverte de l’Amérique et de la Chine, la médecine par les plantes, les chefs d’œuvre de Victor Hugo, Mozart, Léonard de Vinci et tant d’autres. » De la même façon, on croit mourir d’un chagrin d’amour, mais on survit généralement,; quand on se souvient qu’avant de rencontrer cet homme ou cette femme sans qui on s’imagine ne pas pouvoir vivre… on vivait, et on était souvent heureux(se). L'amour devrait rester un plaisir, un mode de dialogue pacifique, comme chez les bonobos, et non cette passion addictive qui pousse au désespoir et parfois à la violence.
(photo bonobos du site ushuaïa)
Je leur dis encore : « Chaque amoureux a le sentiment de vivre une histoire que personne d’autre n’a vécu, qu’elle soit heureuse ou malheureuse (« je l’aime, tu peux pas savoir… ») Pourtant, il suffit de regarder autour de soi pour voir que les mariages duraient plus longtemps à l’époque où on entrait dans une entreprise à vingt ans pour en sortir à 65 (ou plus jeune, les pieds devant), que la serial monogamie (on se marie, on se quitte, on se remarie, on se re-quitte…) a pris son essor en même temps que le zapping à la TV, les collections multiples en prêt-à-porter ou la sortie d’un Ipad2 un an après le Ipad1, bref dans une logique de surconsommation.
Enfin, ce n’est pas un hasard si on parle des amours plurielles au moment où l’écologie a le vent en poupe car les deux ont des valeurs communes : 1. non appropriation du vivant (on refuse que les labos brevètent les gènes, pourquoi posséderait-on un être vivant sous prétexte qu’on vit avec ?) 2. respect des saisons (on ne coupe pas un arbre en hiver parce qu’il semble mort, on attend le printemps. On ne rompt pas avec son amoureux dès qu’on connaît des difficultés, on attend de voir si elles sont passagères ou irrémédiables), 3. diversité qui enrichit : dans un jardin, des fleurs semées sous un arbre fruitier attirent les abeilles qui pollinisent alors les fruitiers, sans que ceux-ci se sentent en rivalité avec les fleurs. Dans le pluriamour, les rencontres ne sont pas en rivalité mais en complémentarité.
Et là, ce qui paraissait iconoclaste, impossible, voire immoral, devient soudain un motif de réflexion : non, le privé n’échappe pas à l’influence du social et du politique. Oui, on peut réfléchir à d’autres façons de vivre. Rien n'est immuable.
Cela devient intéressant quand, partant des amours plurielles - ça attire du monde, mais je sature un peu - on peut réfléchir au fait que, généralement, les solutions présentées comme seules possibles : tout-nucléaire, monoculture, capitalisme, portent en elles les germes de leur propre destruction, alors que l’imagination ouvre les possibles.
(c’était en Suisse les 20 et 21 mars, au café-déclic )