Une armada d'experts pas vraiment antilibéraux a rédigé un rapport à l'intention des participants au Forum de Davos où se retrouvent ceux qui dirigent le monde, politiquement ou économiquement. Ce rapport, d'une lucidité intéressante, analyse la connexion des «risques globaux». Il reconnaît que les risques économiques, sociaux, écologiques et géopolitiques, sont interconnectés et susceptibles de déclencher à court ou moyen terme une défaillance systémique. Constate que les inégalités sociales sont devenues improductives et que les luttes contre l’austérité en Europe sapent la confiance dans les institutions.
Reconnaît que les protestations populaires dans les pays émergents indiquent l’épuisement des modèles prédateurs, et que le chômage de masse risque de faire de la génération des jeunes ayant 20 ans en 2013 une génération perdue. Sans oublier que le changement climatique et les évènements météorologiques extrêmes pèsent sur l’économie et que d'ici quelques années l’accès à l’eau risque d’être compromis pour une part grandissante de la population.
En conclusion, le rapport considère comme risque systémique numéro 1 "le creusement des inégalités", et en 2 le dérèglement climatique.
Chouette, me suis-je dit, le risque numéro 1 est sans doute le seul où l'on peut faire rapidement quelque chose alors qu'inverser le déréglement climatique devient de plus en plus aléatoire et sera long...
Il suffirait d'une volonté politique- établir un revenu maximum acceptable, un revenu de base pour tous, traquer les fuites de capitaux et l'évasion fiscale, payer les matières premières à leur juste prix, redistribuer les profits et/ou les investir dans l'économie réelle plutôt que de spéculer, etc- pour réduire considérablement les inégalités. C'est faisable, il y a des expériences en économie sociale dont peuvent s'inspirer les entreprises classiques (d'autant que les SCOP, notamment se portent généralement bien.
Sauf que conscients de l'échec du système libéral/financier, les auteurs ne proposent aucunement de changer de système. Ils restent persuadés que celui-ci est le meilleur même s'il échoue, que les indicateurs économiques (PIB, croissance) restent adaptés au monde actuel alors que tout prouve le contraire.
Ils ont le cerveau si formaté que l'idée de changer de logique ne les effleure pas.
Alors ils font la charité. Bill Gates a consacré 50 milliards à sa fondation. C'est généreux. Certes, on sait que les fondations sont aussi un excellent moyen d'optimisation fiscale pour les grosses entreprises, et on pourrait reprocher à Bill de financer davantage l'envoi de vaccins aux enfants du Tiers-Monde que l'amélioration des conditions de vie des plus pauvres, alors que notre passé récent a prouvé qu'en finançant l'accès à l'assainissement et à l' eau potable et à la nutrition on améliore bien mieux la santé qu'avec des vaccins. Mais ne boudons pas notre plaisir: Bill donne beaucoup de sous, Bill est charitable... comme les bonnes dames de la Comtesse de Ségur donnaient des vieux vêtements aux pauvres.
Et Bill a lui aussi une vision bloquée du système lorsqu'il déclare à un journaliste de France-Inter qui lui demande si le creusement des inégalités ne le choque pas, ainsi que l'accroissement constant des richesses de 1% de la population.
"Il ne faut pas raisonner ainsi, ce n'est pas parce qu'une personne s'enrichit qu'une autre s'appauvrit, on n'est pas dans un monde fermé. Toute croissance est profitable à tous."
Eh non, Bill. Première énorme erreur: si, nous sommes dans un monde fermé, une seule planète dont certaines ressources sont en train de s'épuiser, ce qui va à l'encontre du mythe de la croissance comme clé de tout.
Effectivement, quand une personne s'enrichit, une autre ne s'appauvrit pas: ce sont des milliers de personnes qui s'appauvrissent pour financer l'enrichissement de la première, l'écart des revenus, socialement dangereux lorsqu'il dépasse un ratio de 1 à 40, dépasse aujourd'hui le 1 à 500 (et encore, je dois être en dessous de la vérité).
Reste la question: es-tu de bonne foi, de bonne conscience, ou faux-cul? Indulgente, je prêchais pour la bonne conscience, me souvenant d'une chercheuse qui travaillait sur un OGM de banane dont je lui faisais remarquer qu'il serait une catastrophe pour les pays producteurs de bananes (avec argumentation solide à l'appui). Elle me répondit: "Je ne pense pas à tout ça quand je suis dans mon labo, je fais juste de la recherche." Avec une immense bonne conscience, celle de faire avancer la science. "OK pour les chercheurs, m'a-t-on répondu, mais au niveau des décideurs de Davos, ils ne sont nullement stupides, ils savent ce qu'ils font.
Un bal des faux-cul, en somme, qui depuis le sommet de Rio en 1992- il y a 22 ans!- savent que "la maison brûle" et continuent d'attiser le feu.
Les images n'ont rien à voir avec le texte, c'est juste un peu de douceur dans ce monde de brutes