Les salons du livre sont légion et ne se valent pas tous. Quand les organisateurs croient que seules les vedettes médiatiques attireront le « grand public » (cette expression m'étonne toujours : y-a-t-il un petit public, versus un grand qui serait soit supérieur au petit, soit au contraire massifié, beaufisé ?) les visiteurs deviennent chasseurs d'autographes et de photos plus que d'échanges sur les livres ou l'écriture. Je me souviens avoir été ainsi mitraillée par une jeune femme au Salon du livre de Paris : elle déplaçait mes livres, les arrangeait à sa guise, me tournait autour avec son appareil, puis disparut subitement, sans m'avoir adressé un mot, après avoir fait sa moisson de clichés !
Grâce soit donc rendu au 8ème salon « Lire en poche» qui s'est déroulé à Gradignan ce week-end dans la douceur du climat aquitain, quoique plus grisaillou que prévu. Ce salon municipal mobilise une année durant une équipe de quatre personnes, plus, le mois précédent l'événement, une multitude d'employés de la ville qui acceptent avec bonheur de se transformer en chauffeurs, hôtesses, logisticiens, manutentionnaires, animateurs... pour le plaisir de participer à un événement dont ils sont fiers et qui, selon l'expression de l'un d'eux « nous ouvre un autre monde tout en nous faisant découvrir les talents cachés de nos collègues. » Sans oublier les établissements scolaires étroitement associés à cette promotion de la lecture auprès des jeunes.
Dans certains salons, l'auteur ne sait comment se comporter. S'il salue le visiteur, celui-ci s'éloigne prestement, voire décrit un large cercle dès qu'on lève les yeux vers lui. Si on garde les yeux baissés, certains prennent cela pour de l'indifférence et s'éloignent tout autant. Les auteurs connaissent alors les affres du vendeur en prêt-à-porter qui ne sait s'il vaut mieux laisser le chaland fouiller dans les rayons ou s'approcher : « Puis-je vous aider ? » avec le sentiment que le client s'agace: « Il cherche à me fourguer sa marchandise. »
« Lire en poche », centré sur le format poche, échappe à cette relation purement commerciale. Certes, les auteurs sont ravis qu'on achète leurs livres mais ce n'est plus simple question d'argent (les droits d'auteur sur un poche sont infimes), plutôt plaisir de voir que des personnes aiment ce qu'ils écrivent. Les visiteurs n'ont plus peur qu'on veuille vider leur porte-monnaie, car en poche, on se fait plaisir avec 5 euros, on est riche de lectures futures pour 20. Et comblé par la beauté de l'objet, car les « poches », désormais, ne sont plus un sous-produit du grand format imprimé serré sur du papier au rabais, mais de très beaux objets.
Du coup, fini le débat stérile sur « la fin programmée du livre papier face au numérique » ! A voir le plaisir des gens à soupeser un livre, le feuilleter, en caresser le papier- plus du tout au rabais, il y a du bouffant, du couché mat ou lisse, du bible, de l'offset- admirer des couvertures qui sont parfois de pures œuvres d'art, on constate qu'au-delà du contenu, l'objet livre est partie intégrante du plaisir de lire, et que ce plaisir lui-même diffère sensiblement selon le support : « Le numérique, c'est pratique en voyage, ou pour des textes techniques, mais pour s'évader dans la fiction ou l'Histoire, pour lire au lit, rien ne vaut le vrai papier. » Conclusion : cessons ces débats conflictuels et préservons le papier comme le numérique pour ce que chacun a d'irremplaçable.
Idem pour l'éternelle lamentation sur « les enfants qui ne lisent plus ». L'affluence des enfants et des ados sous le chapiteau consacré à la littérature « Jeunesse » prouve qu'on peut aimer les jeux vidéos ET la lecture, surfer sur Internet ET savoir encore ouvrir un dictionnaire, bref qu'au lieu de raisonner en opposition et exclusion, mieux vaut là encore raisonner en complémentarité. C'est peut-être moins excitant, mais c'est plus réel et plus constructif. D'ailleurs, les auteurs de littérature « jeunesse »- un secteur florissant de l'édition- annoncent des tirages à faire pâlir d'envie tous les auteurs...
A « Lire en poche », j'ai rencontré des lecteurs et lectrices qui aiment des romans pas forcément tête de gondole des supermarchés et posent des questions sur la façon d'écrire avec un réel intérêt pour la chose. Des lecteurs et lectrices qui vous disent pourquoi ils vous apprécient. Leur jugement m'a confortée dans l'idée qu'au lieu de sortir des bouquins formatés pour « répondre à la demande du moment », à faire des coups éditoriaux qui ne durent que le temps d'un engouement au détriment de ce qu'on appelle le fonds éditorial (les livres faits pour être lus et vendus au-delà d'un an) les éditeurs auraient intérêt à stimuler et encourager ce que chaque auteur a de spécifique, et lui laisser le temps de trouver ses lecteurs. Des avis reçus, je retiens que ce qui plaît dans mes écrits est l'humour, capable de dédramatiser des sujets difficiles ou tabous, et l'émotion : « Vous aimez les gens comme vous aimez vos personnages, avec bienveillance ». Ca fait du bien à l'ego, et me donne du grain à moudre pour répondre aux sollicitations commerciales contraires à ma nature.
Enfin, quel plaisir de découvrir que les lecteurs de Gradignan, Bordeaux et alentours, bref du Sud-Ouest, aiment les écrits coquins, non pas avec trivialité mais avec un délicieux pétillement dans les yeux, à 20 ans comme à 75 et plus ! On ne saurait attendre moins d'une région où les vins sont des nectars et la gastronomie un savoir-vivre.
Seul bémol, le spectacle d'ouverture, un peu trop « conceptuel » et élitiste...
Un bonheur ne venant jamais seul, j'ai trouvé à mon retour un mail de lecteur me détaillant longuement le plaisir et l'émotion qu'il avait éprouvés à la "dégustation"- c'est son mot- de "Jouer au monde",
son étonnement de se reconnaître dans certains personnages, ses interrogations sur tel ou telle autre et sa demande de précisions sur le processus d'écriture, à laquelle j'ai immédiatement répondu.
Voici de quoi booster l'envie d'écrire, à rebours des doutes qui me saisissent parfois sur l'utilité d'aligner encore des mots,
des phrases, des idées, des histoires, dans un océan littéraire déjà débordant.