Par Héra ma douce épouse et toutes les déesses de l’Olympe, s’écria Zeus à Jésus, peux-tu m’expliquer ce qui se passe dans mon pays ? Ce peuple Grec, le seul à avoir inventé des Déesses et des Dieux heureux, amoureux et paillards- franchement on rigole plus dans l’Olympe que dans ton paradis asexué- ces navigateurs et commerçants hardis qui savaient jongler avec cent monnaies différentes du temps où chaque île avait la sienne, se trouveraient vaincus par l’Euro ? Que s’est-il passé ?
- Tout a commencé par un mensonge, et mentir, c’est mal, commença Jésus.
- Toujours moralisateur, toi, tu es vraiment Christounet. Oups ! Continue…
- En l’an 2000, donc, la Grèce a présenté des comptes falsifiés pour pouvoir entrer dans l’Europe malgré les critères de Maastricht. Les agences de notation…
-Késaco ?
-Des sociétés privées qui évaluent si un débiteur est solvable et si ses créanciers- qu’on appelle aussi investisseurs- courent un gros risque en le finançant. Il en existe plusieurs, mais les trois principales, Fitch, Moody’s et Standard and Poors, toutes américaines, trustent à elles seules 85% du marché de la notation.
- Quel rapport avec la Grèce ?
-Sur la foi des comptes présentés par la Grèce, elles lui ont toutes accordé la note AAA, excellente note.
-Ah ! ah ! ah ! Je veux bien que le gouvernement Grec ait menti, et que c’est mal. Mais est-ce bien que des agences grassement rémunérées pour noter le fassent « sur la foi de » sans rien vérifier ?
- Non, mais elles étaient payées pour ça : favoriser l’entrée de la Grèce dans l’UE et favoriser les investissements… Plus tard, lorsque la banque Goldman and Sachs a présenté un montage financier pourri pour un prêt à la Grèce, un truc dont il était évident qu’il allait provoquer un krach, les agences l’ont noté en chœur AAA.
-Ah ! ah ! ah ! encore. En voilà des agences à vision courte !
-Tu ne crois pas si bien dire, Zeus ! Figure-toi que Enron, énorme entreprise américaine, et les deux banques Goldman and Sachs et Lehman and Brothers ont, elles aussi, reçu la note maximale quelques mois à peine avant leurs faillites retentissantes, à l’origine de l’énorme crise financière de 2008.
-Du coup, j’imagine que ces agences de notation ont été virées et priées de se ne plus se mêler des affaires du monde …
-Pas du tout ! Le monde entier, ou plutôt les marchés…
-… les marchés ? Tu parles de ces institutions émotives comme des rosières face à un satyre en rut ?
- Euh, oui, quoique ta comparaison choque ma légendaire pudibonderie, sourit Jésus. D’ailleurs tu as raison : à la moindre rumeur financière, les marchés s’affolent, les marchés réagissent, les marchés plongent… alors même que la baisse du cours d’une action ne change rien à la réalité économique de l’entreprise, je veux dire à son activité réelle. Par contre, ces coups de fièvre des marchés déstabilisent l’économie mondiale en créant des réactions intempestives, des angoisses injustifiées…
-Je te suis parfaitement, confirma Zeus. Les Grecs travaillent dur et créent de la richesse… qu’ils oublient un peu de déclarer aux impôts, certes… Mais cette richesse existe, et n’autorise personne à déclarer le pays ruiné.
-Si : les agences de notation ! Car en déclarant un Etat en quasi faillite et en lui abaissant sa note, elles le conduisent droit à la ruine : aucun investisseur ne se risque plus à lui prêter, excepté à un taux quasi usuraire. Paradoxe total : on prête aux riches à bas taux, et aux pays en difficulté à taux majoré. Avec en prime consigne de serrer la ceinture au peuple. Paradoxe là encore : comment relancer une économie si on ne crée pas d’emplois et si les gens n’ont plus les moyens d’acheter ?
-Décidément, conclut Zeus, ces agences sont une invention de fous.
-Non, dit Jésus, une invention machiavélique, qui permet à des entreprises privées américaines de dicter leur conduite à des Etats européens au mépris de leur souveraineté. A terme, elles sont capables de déstabiliser totalement cette Europe qui enquiquinerait bien les Etats-Unis si elle était un bloc uni et prospère. Il a fallu 50 ans d’anticommunisme viscéral pour détruire le bloc de l’Est, combien de temps faudra-t-il pour détruire le bloc européen ?
-C’est un sujet du bac que tu me poses là : « La liberté est-elle menacée par l’égalité ? » « La culture dénature-t-elle l’homme ? » Tu sais ce qui me ferait diablement (Oups !) plaisir, Jésus ? Que tu te décides enfin, avec vingt siècles de retard, à chasser les marchands hors du Temple ! »