Entre Montargis et Nevers, via Briare et la Charité sur Loire, on découvre un pays d'eau, de fleuve, rivières et canaux, où la vie se déroule au rythme des écluses : 38 écluses pour le seul canal de Briare!
On les longe à vélo tandis que d'autres les parcourent en bateaux. Le grand projet qui part de Nantes pour arriver... en mer Noire, « la Loire à vélo », se concrétise peu à peu, avec des morceaux de routes spécialement dédiés à ces deux-roues pacifiques dont les possesseurs se saluent en se croisant, sans bruit de moteur, juste celui du pédalier.
Le marinier est solitaire mais liant, il aime informer le passant de choses surprenantes, par exemple qu'il transporte des centaines de tonnes d'orge par voie fluviale jusqu'en Belgique pour la fabrication de bière Belge, vu que la Belgique, trop exiguë, n'a pas les surfaces nécessaires pour cultiver assez d'orge.
L'éclusier est solitaire mais souriant, il aime raconter sa vie rythmée par les coups de fil qui lui annoncent l'arrivée des bateaux, les va-et-vient d'une écluse à l'autre qu'il fait souvent à bicyclette, la quantité d'eau déplacée pour équilibrer les niveaux... L'écluse est une invention surprenante, elle consomme très peu d'énergie tout en mettant en œuvre des forces incroyables. Des vérins hydrauliques assistent parfois l'éclusier, mais souvent il tourne encore la manivelle à la main. Aux mains plutôt, car il y faut les deux bras. L'éclusier se modèle une musculature harmonieuse et symétrique.
L'ÉCLUSIER (FRED MERPOL)
En été, avec le trafic fluvial touristique, l'éclusier est à l'écluse, et pas sur les chemins de halage. Dommage, c''est juste la saison où l'herbe pousse, alors il nous arrive de pédaler dans un sillon malingre, avec de l'herbe jusqu'aux cuisses. Cela incite à rejoindre la départementale voisine, où le macadam surchauffe et les automobilistes foncent... Les chemins de halage sont pourtant une richesse touristique considérable, ils permettent de se déplacer dans des paysages insoupçonnés, mais si VNF (voies navigables de France) continue de réduire les effectifs et de rogner sur l'entretien des chemins, les touristes déserteront, mauvais calcul à long terme... Le même que celui de réseaux ferrés de France, qui néglige l'entretien des voies faute d'effectifs suffisants et c'est pourquoi de plus en plus souvent les trains sont immobilisés pour cause de chutes d'arbres sur les rails et d'absence de personnel pour les retirer. Parfois, c'est juste gênant, parfois, ça cause des accidents. .. Les intempéries liées au dérèglement climatique + l'absence d'entretien liée au désir de faire des économies créent un cercle vicieux... et coûteux .
Près de la Loire, on longe des champs de tournesol sur des sentiers idylliques, puis apparaît soudain... une centrale nucléaire (Belleville). Très étrange sensation, cette énormité dans un paysage champêtre, ces deux colossales cheminées crachant silencieusement leur vapeur en nuages absolument immobiles sous le soleil torride, cela procure un sentiment d'incongruité difficile à analyser, qui donne envie tout soudain d'accélérer le rythme pour filer ailleurs. ( nous avons pédalé par 34° à l'ombre, sous le cagnard on n'a même pas osé compter... Avantage : pas besoin de pause pipi, on élimine par tous les pores, malgré les deux litres d'eau par jour et par personne.
La Charité sur Loire est une cité dédiée aux mots depuis plusieurs années. Les murs des maisons comme les vitrines des commerçants s'ornent de citations qui offrent aux habitants une familiarité quotidienne avec les mots et les phrases.
L'écrit imprègne l'esprit et c'est sans doute pourquoi cette ville possède un nombre incroyable de librairies. Chaque année, le public choisit « le mot de l'année » lors d'une manifestation animée par Alain Rey. Le choix reflète souvent l'actualité. L'un des derniers (2012 ou13?), était « précarité. »
Sous le soleil exactement, entre la Loire sauvage et le canal latéral, puis au Bec d'Allier où se rejoignent la Loire et l'Allier, les oiseaux se déploient, solitaires ou en bandes, on écoute le silence qui n'a rien d'angoissant, on demande son chemin à des cafetiers bourrus mais heureux- je cite- « d'avoir pu renseigner de si charmantes personnes ».
On s'offre des échappées belles d'une côte à une descente, puis d'une descente à une côte en jouant du dérailleur avec une jubilation gamine, pas étonnant qu'un ingénieur de PSA, à qui sa Direction avait demandé d'imaginer le véhicule du futur « économe en carburant, facile à réparer, écologique, léger, économique » ait répondu : « Monsieur, il existe déjà : c'est le vélo ».
A BICYCLETTE (YVES MONTAND)