Je vous ai parlé il y a plus d'un an du pari fou de la compagnie Aleph, devenue compagnie du Théâtre el Duende: chassés de leurs murs par un voisin grincheux, les comédiens avaient décidé de mettre en commun leurs économies et de faire appel aux dons pour construire leur propre théâtre, avec une salle de 110 places, un bar, et des salles de cours. Tout ceci en partant d'un entrepôt et de ses annexes, en plein coeur d'Ivry.
Comme pour tout chantier, il y a eu des retards, des angoisses (quand le sol, comme souvent en région parisienne, s'est révélé plus "emmental" que prévu, nécessitant des travaux supplémentaires et coûteux pour le stabiliser) et de grosses fatigues après des week-ends passés à transporter des matériaux ou poncer des cloisons.
Il y eut aussi de grandes joies, comme celles de voir les "amis du théâtre el Duende" répondre à l'appel. Pas seulement à l'appel de fonds, mais aussi à l'appel à participer: faire connaître le projet, aider aux travaux de peinture, prêter un véhicule, offrir des chaises, des outils, du temps... Certes, depuis sa création, la Compagnie défend un théâtre d'échanges et d'amitiés, mais tant que tout va bien, c'est facile de venir à leurs spectacles, on en ressort heureux, facile de boire un verre avec eux au bar, ils sont si chaleureux... En revanche, constater que cette amitié perdure dans les difficultés et que les amis-spectateurs répondent présent pour faire de ce projet quasi Pharaonesque une vraie création collective où chacun apporte sa pierre ou son pinceau, c'est une joie profonde et la preuve que la culture est une des voies privilégiées de la solidarité. Le nombre croissant des films et livres produits grâce à des souscriptions le montre: on est prêt à donner des sous pour un projet culturel.
Pourquoi? Parce que la culture est vitale. Si elle ne l'était pas, jamais l'homme préhistorique épuisé après la chasse au mammouth se serait cassé le cul à faire des dessins sur les parois des grottes de Lascaux ou Cosquer, dessins qu'aucun public ne verrait jusqu'au XXème siècle et qu'aucun galeriste n'achèterait! Il l'a fait parce que c'était vital pour lui. Sans doute est-ce la seule chose qui nous différencie des animaux, cette faculté que donnent l'art et la culture de repenser et réinventer le monde et ainsi pouvoir influer sur le monde réel... encore que je soupçonne les chats d'entretenir une vie culturelle et onirique.
La culture permet de s'appuyer sur les apports du passé pour comprendre et maîtriser le présent, que ce soit le présent de sa propre vie ou le présent de la société. D'où le danger d'une "culture de l'immédiateté" où un événement chasse l'autre et favorise l'oubli. (tiens, à propos, Fukushima, c'était il y a deux ans, c'est vieux, mais l'eau est toujours contaminée, TEPCO vient de rejeter 1000 tonnes d'eau radioactive dans l'océan, et les conséquences de cet accident nucléaire gagneront bientôt la Californie, via la contamination radioactive du Pacifique des poissons... Y a de quoi se faire du sushi...)