On le sait, la médecine devient de plus en plus un commerce sous la pression du lobby pharmaceutique. Les laboratoires ont donc à cœur de régulièrement créer de nouvelles maladies et de nouveaux besoins médicamenteux.
Les babyboomeuses, génération pléthorique, sont une cible de choix. On leur proposa des traitements hormonaux substitutifs contre la ménopause. Qui n'est pas une maladie. Pourtant, il y a quelques années, refuser un THS parce qu'on en éprouvait nul besoin- la ménopause n'est pas toujours synonyme de prise de poids, bouffées de chaleur, irritabilité et baisse de libido, loin de là- refuser, donc, consternait les médecins. Jusqu'au jour où furent mis en évidence les risques liés à ces THS. Patatras pour le chiffre d'affaire des labos qui les commercialisaient ! Ils trouvèrent alors un autre filon et firent le siège de l'Assurance-maladie pour la convaincre qu'il fallait à tout prix- et ça coûte très cher- protéger les femmes de l'ostéoporose en agitant le spectre de fractures aux suites mortelles.
Dans un livre intitulé « le mythe de l'ostéoporose » le journaliste Thierry Souccar raconte comment, partant du fait réel que le vieillissement des os les fragilise, les laboratoires créèrent de toutes pièces une maladie qu'ils nommèrent« ostéopénie » qui serait précurseuse de l'ostéoporose et nécessiterait un traitement préventif dès la cinquantaine pour peu qu'une légère déminéralisation des os, constatée par ostéodensitométrie osseuse, permette de conclure à cette fameuse ostéopénie.
Il y a une quinzaine d'années, lors d'un reportage, j'ai testé un appareil d'ostéodensitométrie. Ce n'était pas dans les mœurs, il fallait que les magazines en parlent. Lors du résultat, le médecin m'annonça que « vu l'état de mes os », si je ne faisais rien, j'étais bonne pour des douleurs atroces dans cinq ans et le fauteuil roulant dans dix. J'aime pas qu'on me parle sur ce ton, surtout les médecins... Tant qu'on est vivant, on est seul propriétaire de son corps et seul habilité à décider ce qu'on souhaite en faire. Je n'ai donc rien fait et il ne s'est strictement rien passé : ni douleurs, ni fracture, ni gêne pour pratiquer vélo, plongée ou escalade.
En 2010, dans le secteur libéral, 420 000 ostéodensitométries ont été réalisées. En 2011, la base de remboursement de la Caisse nationale d’assurance-maladie, comptabilisant le montant des médicaments prescrits dans l’ostéoporose, atteignait 131 millions d’euros. Un gâchis évident car en prévention primaire les médicaments proposés ont été incapables de démontrer leur efficacité pour éviter une fracture. (Le mythe de l'ostéoporose)
En 2009, 79 200 personnes furent hospitalisées en France pour une fracture de l’extrémité supérieure fémur. L’âge moyen des patients était de 79,6 ans chez les hommes et de 83,2 ans chez les femmes, âge supérieur à l'espérance de vie moyenne en France. De plus, 80 % de ces fractures surviennent chez des personnes ne souffrant pas d'ostéoporose. Conclusion : la première cause d'une fracture, c'est la chute de personnes âgées qui n'ont pas toujours un parfait équilibre (et chez elles des meubles et des tapis sur lesquels elles trébuchent), pas l'état de l'os. Quant aux médicaments censés « durcir » l'os, ils ont parfois un effet négatif : en effet, ce qui rend un os résistant est le collagène, qui lui donne une certaine souplesse, donc la capacité d'amortir un choc. Un os avec trop de calcium devient plus dur, donc plus cassant...
Mais alors, si tant de médicaments sont inutiles, comment améliorer la santé?
La réponse est apportée par le Pr Claude Béraud, professeur honoraire à l’université de Bordeaux, ancien médecin-conseil national de l'Assurance-maladie, qui préface le livre de Thierry Souccar :
La pauvreté est un facteur de risque majeur : elle raccourcit l’espérance de vie et rend compte d’une grande partie des morts prématurées avant 65 ans. La lutte contre la pauvreté est la clé de l’efficacité d’une politique de santé publique car elle est la condition de l’amélioration de la qualité du logement, de l’hygiène, du chauffage, de l’éducation.
Les inégalités de revenus sont un facteur d’inégalités de santé indépendant du facteur pauvreté. Une société où le coefficient de Gini (1) est élevé est une société divisée où la cohésion sociale s’effrite, où les problèmes sociaux, par exemple le chômage et la violence, ont une incidence supérieure et où la mortalité est élevée. Inversement lorsque la cohésion sociale se renforce le niveau de santé global est plus haut.
Creuser les inégalités est donc le meilleur moyen de creuser par ricochet le « trou » de l'Assurance-maladie, lequel contribue à creuser le trou de la dette publique. Un message évident, simple, mais que les pouvoirs publics semblent moins entendre que les sirènes des industriels et lobbyistes du médicament.
(1) Le coefficient de Gini est une mesure de l’inégalité des revenus. Il varie de 0 à 1. Zéro c’est l’égalité parfaite : tout le monde a le même revenu et 1 c’est l’inégalité totale : un seul dispose de la totalité des revenus. Les deux pays les plus inégaux sont le Mexique et les États-Unis. Les plus égaux sont la Suède et le Danemark.