Hier, j'allume la radio: mariage pour tous! Ce matin encore: mariage pour tous! Exit le chômage, la finance toujours pas régulée, les hôpitaux surchargés, les guerres ici et là... On ne parle que de ce mariage qui a, je l'ai déjà écrit, été adopté sans bruit ni fureur en Belgique, en Italie ou ailleurs.
Je ne voulais pas en rajouter, d'autant plus que le moindre commentaire peut vous faire taxer illico d”homophobe- ce qui dans mon cas serait aberrant!- ou de destructrice des valeurs éternelles de la civilisation... Et c'est là que ça me chiffonne, cette histoire de mariage. Pour tous, pas que pour les homos, bi ou transsexuels. Cette volonté de conformisme social: «Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants». Comme dans les contes de fées, et d'ailleurs nombre de manifestantes pro mariage pour tous se sont parées de robes de princesse ou de mariée pour défiler. C'est Pronuptia qui va se réjouir, un marché énorme s'ouvre!
Voilà que la reconnaissance sociale de l'homosexualité, bi, trans... passe non pas par l'acceptation de leur choix sexuel mais par l'intégration dans le modèle standard : couple marié avec enfants.
Quand je pense à notre refus du mariage, «institution bourgeoise et misogyne» dans les seventies ! Nous n'en voulions pas, non pas par manque d'amour ou refus d'engagement, mais parce qu'à nos yeux, le mariage était une institution issu du Droit Romain- qui donnait au Pater familias droit de vie et de mort sur ses enfants- de la religion- où c'est un sacrement, qui ne concerne que les croyants- et du Droit Napoléonien, lui-même fortement inspiré des deux précédents. Dans le code Napoléon 1er l’article : « Les personnes privées de droits civiques sont les mineurs, les débiles mentaux, les délinquants et les femmes mariées » nous restait en travers de la gorge. Savoir qu'en 1910, le code en rajouta une couche en disant en substance : « les entrailles de la femme appartiennent à l'homme qui en dispose à sa guise », nous débecquetait. Et avoir connu nos mamans interdites de travail et compte en banque si leur mari ne leur en donnait pas l'autorisation ne nous donnait pas envie de nous marier. Il fût une époque- la belle Epoque comme ont dit- où les courtisanes et autres gourgandines étaient majeures et libres... car pas mariées.
« C'est vieux, tout ça ! » s'exclameront les trentenaires persuadés qu'aujourd'hui on se marie juste par amour. Que nenni, chers amis ! Quand on s'aime, on fait l'amour, on a souvent envie de vivre ensemble, on a des projets communs, on a envie de rendre l'amoureux(se) heureux(se)... et tout cela se vit fort bien en union libre, sans mariage. Le mariage, aujourd'hui comme hier, est signe d'appropriation de l'un par l'autre devant la Société si ce n'est devant Dieu : « Ces couples avaient vécu ensemble par amour, ils se mariaient pour se posséder : le mariage comme contrat d'achat du compagnon ou de la compagne, acte de propriété clamé à la face du monde, union de deux êtres qui n'en feront plus qu'un. Les époux fusionnent dans une entité singulière appelée cellule familiale, un foyer fiscal où ils n'ont pas le droit de déclarer séparément leurs revenus, même s'ils sont mariés sous le régime de la séparation de biens et même s'ils le désirent, et une vie sociale où il serait désormais inconvenant d'inviter séparément monsieur ou madame. »( « Aimer plusieurs hommes »)
Mine de rien, être marié change la donne. Trois fois j'ai été témoin de mariage pour des copains qui avaient décidé de convoler après 3 à 5 ans de vie commune sans nuages. Trois fois ils ont divorcé, victimes de la pesanteur du mariage. « Des hommes charmants avec leur compagne deviennent tyranniques, indifférents ou rustres avec leur épouse... Des femmes épanouies se transforment après les noces en ménagères, si ce n'est en mégères. Comme le résumait cyniquement une épouse grecque pour excuser sa prise de poids après cinq ans de mariage : « J’ai lié mon âne, je n’ai plus besoin de faire attention. »(idem)
Après les premiers temps de vie commune, arrive un moment où on achète des trucs ensemble, des gros trucs genre maison, où on a un enfant, et c'est souvent là qu'on se marie. Pas par amour : pour préserver les biens du couple et protéger chaque partenaire au cas où l'un d'eux disparaîtrait. Cela met bien en évidence la nature du mariage : une histoire matérielle. Les mariages de raison avaient pour objectif essentiel de marier deux jeunes dont les parents pouvaient ainsi réunir les biens, augmenter la surface des champs et des forêts possédés (voir « Thérèse Desqueyroux », actuellement au cinéma). Aujourd'hui, les futurs mariés préservent leur patrimoine au cas où... et l'amour n'a pas grand chose à voir là-dedans, sauf pour les afficionados des TV-novelas et contes de fée et les magazines et boutiques spécialisées qui vivent sur "ce plus beau jour de votre vie".
Preuve a contrario : alors que je disais à ma fille aînée que je ne comprenais pas l'acharnement des homosexuels à vouloir se marier alors qu'existe le PACS (si le PACS avait existé quand j'avais 20 ans, je l'aurais choisi sans hésiter), elle me répondit : « Oui mais tu comprends, le PACS ne donne pas les mêmes droits de succession ni d'adoption. »
On mesure là l'imbécillité des gens de droite qui prédisaient déjà l'apocalypse des mœurs lors de la loi sur le PACS et se sont acharnés à en faire un « sous-mariage » en le privant de ces droits élémentaires, d'où la demande des homosexuels, bi, trans... du mariage pour tous, au nom de l'égalité. Ce en quoi ils ont raison, il n'y a aucune justification à les traiter en sous-citoyens. Mais je regrette qu'on n'ait pas saisi l'occasion de cette mise à plat des unions entre personnes pour créer un contrat ouvert à toutes les personnes- pas seulement les couples- désirant vivre ensemble un projet commun et souhaitent en régler les conditions, qu'il s'agisse d'un projet de famille avec enfants, ou d'amour sans enfant.
Parce que là aussi, associer automatiquement projet de vie amoureux et possibilité d'avoir des enfants est discutable, tout comme la notion de « droit à l'enfant ». L'enfant n'est pas un droit, c'est une personne qui ouvre à ses parents, qu'ils soient ou non géniteurs, une foule de devoirs et d'emmerdements en perspective, et aussi du bonheur, heureusement. Mais parler de « droit à l'enfant » comme de droit aux prestations sociales quand on est malade ou chômeur m'énerve, aussi bien pour les hétéros que pour les homos, trans, bi...
Cette volonté, sous prétexte d'égalité, d'uniformiser les façons de vivre et les modèles familiaux est terrifiante. Parce qu'elle sous-entend que sans enfants, au fond, on n'est pas tout à fait accompli. Ce qui marginalise aussi bien les femmes qui ne désirent pas enfanter que les couples stériles ou les couples homosexuels qui par définition ne peuvent enfanter sans assistance médicale. Les tenants de PMA vont se réjouir : un énorme marché s'ouvre ! Les PMA réservées au cas de stérilité avérés étaient insuffisantes pour être financièrement juteuses. C'est ainsi que j'ai vu de plus en plus de filles se faire inséminer après quelques mois seulement de désir d'enfant alors qu'on sait qu'à moins d'un an de rapports réguliers infructueux on ne peut parler de stérilité. J'ai engueulé une consœur qui s'était faite avorter trois fois pour convenances personnelles (pas envie... pas le moment...) et qui a eu recours à la PMA quand à 36 ans elle s'est décidé et a découvert qu'elle était moins fertile. Toutes ces dérives qui, du remède justifié de la stérilité, sont passées à l'enfant « à la demande »puis à la marchandisation de l'enfant sont là encore des histoires d'argent, pas d'amour. Car si on a envie d'aimer et de vivre avec un enfant, il en existe beaucoup dont il suffirait d'élargir les possibilités d'adoption pour pouvoir les rendre heureux.
Cela étant, si j'étais députée, je voterais évidemment pour le mariage pour tous. Mais tant qu'à modifier la loi, j'en profiterais pour dépoussiérer le texte et édicter non pas que « Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours et assistance », mais que les «époux se doivent mutuellement loyauté, secours et assistance ».
C'est peut-être un détail pour vous, mais pour moi, ça veut dire beaucoup : ça veut dire que l'on renoncerait à cette appropriation de l'autre qu'est l'exclusivité sexuelle (sous-entendue dans le terme « fidélité ») et que l'on renoncerait au mensonge, que la loyauté exclut.