Tout le monde ou presque a entendu parler de l’expérience du psychosociologue américain Stanley Milgram, popularisée par le film « I, comme Icare » de Henri Verneuil (avec Yves Montand dans le rôle principal). Donc, au début des années 1960, Stanley Milgram avait élaboré une expérience destinée à évaluer le degré de soumission à l’autorité. Recrutés par petites annonces, des hommes ordinaires participaient à une recherche pour, leur disait-on, déterminer les effets d’une punition sur la mémorisation. Ils devaient envoyer un choc électrique à un apprenant chaque fois que celui-ci se trompait en essayant d’apprendre une liste de mots. Chaque choc était plus fort que le précédent et pouvait atteindre 450V, soit une intensité mortelle. Les deux hommes ne se voyaient pas, mais celui qui envoyait les chocs électriques entendaient les cris de douleur de l’apprenant. Cris de douleur factices, en fait, puisque l’apprenant était un comédien, les chocs électriques étaient un leurre, et le but de l’expérience était de vérifier si une personne ordinaire en situation d’en torturer une autre était capable de le faire jusqu’au bout. Si elle hésitait à poursuivre l’expérience, l’expérimentateur garant de la scientificité de la procédure lui ordonnait de poursuivre…
Les résultats de l’expérience furent stupéfiants : aucun participant ne s’arrêta en-dessous de la décharge censée envoyer 300V, et 66% allèrent jusqu’à 450V.
Oui, direz-vous, mais c’était dans les années 60, à une époque où le respect de l’autorité et de la hiérarchie évacuait toute idée de rébellion. Depuis, il y a eu mai 68, les rebelles seventies et la disparition de l’autorité ! Que nenni, mes amis, car l’expérience, renouvelée une vingtaine de fois dans le monde avec quelques variantes, a toujours donné la même proportion de soumis, à savoir 60 à 66%.
Mercredi 17 mars- c’est-à-dire demain, pour une fois restez devant votre TV ou allez regarder celle du voisin, ou laissez-vous enfermer dans un magasin plein de TV allumées pour regarder le documentaire de Christophe Nick « le jeu de la mort » qui reprend, en l’adaptant,l’expérience de Stanley Milgram. Il ne s’agit pas de vérifier la soumission à l’autorité- quelle est l’autorité d’une animatrice télé ?- mais la soumission au media TV, si fascinant- je l’ai déjà écrit ici VU A LA TELE... que « passer à la TV » donne plus d’aura qu’aucune autre activité professionnelle.
Dans ce jeu télévisé factice- mais auxquels les participants croyaient dur comme fer, 80% des questionneurs vont jusqu'au bout à mesure qu'il se transforme en séance de torture. Seulement 16 des candidats ont abandonné le jeu, résistant à l'autorité de la télévision, incarnée par une jeune animatrice connue, Tania Young. La TV se révèle plus forte que l’autorité scientifique pour imposer des comportements répréhensibles…
"Les questionneurs ne sont pas dominés par un rapport hiérarchique mais sous l'emprise du pouvoir de la télé. Un système qui écrase, un totalitarisme tranquille", conclut Jean-Léon Beauvois, chercheur en psychologie sociale, qui a participé à l'expérience. Les questionneurs n'osent pas affronter l'animatrice en qui ils ont confiance - la télé ne peut pas faire ça ! - et face à laquelle ils sont seuls. Or "un être seul confronté au pouvoir devient l'être le plus obéissant qui soit". "En démarrant l'expérience, on ne pensait pas que la télé avait autant de légitimité", confie Christophe Nick. La télé, quand elle décide d'abuser de son pouvoir, peut faire faire n'importe quoi à quasiment n'importe qui.
OK, elle n’est pas encore allée jusqu’au jeu de la mort, mais elle réussit déjà à convaincre des participants de manger des vers de terre (Koh-Lanta), de jouer avec des araignées alors qu’ils en ont la phobie (Fort Boyard) de baiser sous les caméras (Loft Story) ou de regarder benoîtement leur copine se faire sauter par un séducteur (l’Ile de la Tentation.)
Lueur tout de même dans cette glauquitude d’un media qui ne se contente pas de vendre des parts de cerveau disponibles mais vide au préalable ces parts de cerveau de tout esprit critique : comme dans l’expérience de Stanley Milgram des années 60, les participants osent se rebeller et refusent de torturer autrui si un quidam extérieur vient dire qu’il trouve l’expérience inadmissible. Comme quoi, il suffit de quelques rebelles, d’un petit contre-pouvoir, d’une poignée d’activistes capables de dire « non » pour freiner l’innommable. Et c’est pourquoi mieux vaut être belle et rebelle que moche et remoche.
Actualité "Aimer plusieurs hommes": le site fonctionne, Paypal aussi (pas aussi vite que les chèques malgré les apparences...) et si Nadine Morlot lit ceci, qu'elle me renvoie son adresse, son livre m'est revenu pour cause d'adresse introuvable!